Article proposé par Exponaute

Des data designers à la Fondation EDF

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Publié le , mis à jour le
Les réfugiés internationaux en 1991, les migrations animalières aux Etats-Unis, les ondes qui nous entourent, les différents remix d’un tube de musique… Nommez un thème, les data designers vous retranscriront des données visuellement et interactivement. À mi-chemin entre art, science et design, l’exposition 1 2 3 data confirme l’importance de la Fondation EDF sur la scène muséale. Au-delà du sujet original et actuel que représente le data, c’est une scénographie et un commissariat du divertissement qui met en scène l’innovation contemporaine. On s’y attarde, on se délecte même de ses dizaines d’idées ingénieuses à discerner. Focus sur trois créateurs hors du commun.

Migration in Motion 2

David Bowen, une bouée perdue dans l’océan Pacifique

Elle flotte dans les airs au gré d’une onde invisible. L’œuvre de David Bowen se compose simplement de tubes en plastique rouge tenus par des câbles métalliques et pourtant elle nous fait voyager au bout du monde. Reliée à une bouée dont on ignore désormais la localisation, les informations voyagent jusqu’à la Fondation EDF pour retranscrire les mouvements de l’objet sur l’océan. Grâce aux données d’oscillation de l’eau ou de la réfraction de la houle, l’œuvre s’anime de la même manière qu’un simple bout de métal perdu dans l’immensité de la surface marine.

« TELE-PRESENT WATER », David Bowen, États-Unis, Tubes en plastique, structures et câbles métalliques, logiciel Max/MSP (bibliothèque jitter, v5), microcontrôleur Arduino, moteurs à courant continu de 24 V. 5,4 × 3 × 3 m.

Depuis l’obtention de son diplôme à l’université du Minnesota, ce data designer enchaîne les récompenses. Quelque part entre l’art et l’ingénierie, il propose des installations innovantes qui mettent en lumière des possibilités incongrues, des scénarios originaux. Un pistolet chargé qui s’active au rythme de mouches envolées dans une sphère. Le vivant devient le cerveau d’un robot. Grâce aux insectes, David Bowen explore l’informatique et les datas, tout en leur conférant des capacités humaines. Il peut les faire tweeter à l’aide d’un clavier, les faire allumer des ampoules et même dessiner !

Intitulée Tele-Present Water, l’œuvre exposée à la Fondation EDF retranscrit une activité naturelle qui se déroule dans un ailleurs fantasmé. Plus récemment, Tele-Present Wind expose des moteurs qui agitent quelques tiges de plantes séchées selon l’activité éolienne. Le data est bien là, la poésie aussi. Ses performances robotiques invitent inéluctablement à la réflexion.

Du voyeurisme en concentré avec Jonathan Harris et Greg Hochmuth

Votre visite est limitée à 7 minutes, le temps moyen de consultation d’une page web. Pas plus, et définitivement pas moins vous faudra-t-il pour explorer ce dément projet qu’est Network effect (« effet de réseau »). Les vidéos Youtube s’enchaînent dans un rythme effréné, illustrant les comportements les plus incongrus. Tout âge, toute nationalité, tout temps. C’est l’humanité dans son intimité qui s’offre à nous. À chaque étape sont indiqués la courbe des consultations sur une dizaine d’années et le taux genré des visiteurs. La comparaison génère des surprises. Chez les hommes, on prône les actions comme voler ou peindre. Chez les femmes, on s’attarde sur des émotions telles que le deuil, le pleur ou le rire. Là où tout le monde se rejoint à égalité, c’est sur la lecture (« read »). Après tout, rien n’est perdu…

« NETWORK EFFECT », Jonathan Harris, Greg Hochmuth, États-Unis, Écran tactile 55 pouces, impression sur papier « dos bleu » mat 120 g, panneaux de bois (OSB). 1,95 × 4,20 m.

Ce gigantesque travail a été réalisé par deux artistes et techniciens américains. Greg Hochmuth est spécialisé en sciences du data. Jonathan Harris en narration et poésie du data. Dans son ancien projet « The whale hunt » (« la chasse à la baleine »), Harris documente sa vie lors du suivi d’une chasse à la baleine en Alaska. Il photographie toutes les cinq minutes et répertorie ses documents sur le web au rythme d’un battement de cœur. Chaque visuel est soigneusement renseigné par des dates, des personnages. Ses réalisations rejoignent l’idée d’une omniscience initiée par le web, une intrusion dans l’intimité dont le seul but est de nous rappeler notre humanité profonde.

Mais le duo ne s’arrête pas au visionnage thématisé. À l’entrée du site, on insiste sur le temps limité pour nous inviter à reprendre le cours de notre vie. À la sortie, une citation du psychiatre Carl Jung signe le prologue. « Votre vision devient claire lorsque vous pouvez regarder dans votre cœur. Celui qui regarde à l’extérieur de soi ne fait que rêver ; celui qui regarde en soi se réveille. » Une leçon de morale en somme, mais nécessaire. Pour eux, Internet est une drogue et ceux qui ont développé les applications les plus populaires ont pris soin d’en faire de réelles addictions. Chercher, encore et encore, pour trouver une vérité. Harris et Hochmuth nous le disent – et ils en savent quelque chose pour avoir travaillé chez Google, Instagram et Facebook – vous ne trouverez votre vérité qu’en sondant votre âme et non celle des autres.

David McCandless : quel âge êtes-vous ?

Voici un projet qui motive. Who old are you ? vous place dans la constellation de génies. Ceux qui ont marqué l’histoire par leurs inventions, leur art ou leurs discours. À votre âge, Van Gogh se mettait à la peinture ou un an plus tard, Ebay fut créé. Si le cartel prône le contraire, l’intérêt est avant tout le parallèle de notre destin en cours avec celui des grands. Sinon, il ne reste plus qu’un discours politique valorisant l’entrepreneuriat.

L’anglais David McCandless est un passionné de data. Il se dit capable d’embellir les données mais en réalité, il leur confère une valeur ajoutée à travers un traitement logique et organisé. Dans une conférence Ted de 2010, l’ancien journaliste donne à voir un tableau Excel formé de rectangles de tailles variées. Aucune esthétique et pourtant, les symboles sont forts. Il s’agit des dépenses des différentes nations pour des guerres, l’accueil de réfugiés ou le réchauffement climatique. Les données sont mises en scène, instrumentalisées par son créateur au point de nous interroger. Le data design ne refléterait-il pas l’essence de notre société capitaliste ?

« WHO OLD ARE YOU ? » David McCandless, Grande-Bretagne, Écran tactile. Image tirée de l’ouvrage : David McCandless, Knowledge Is Beautiful: Impossible Ideas, Invisible Patterns, Hidden Connections-Visualized, New York, Harper Design, Harper Collins Publishers, 2014

N’oubliez pas de passer par le Casino Las Datas, où vos données personnelles détermineront votre taux de participation aux machines exportées du Japon. Plus vous laissez d’informations, plus vous gagnerez de jetons… Habilement, 1 2 3 data présente l’occasion de sonder notre société contemporaine, d’identifier ses travers mais aussi ses opportunités. À nous de jouer !

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