Article proposé par Exponaute

Les Impressionnistes à Londres, leurs lumières au Petit Palais

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Publié le , mis à jour le
Après s’être déroulé sur les cimaises de la Tate à l’automne dernier, le récit de l’exil des artistes français à Londres se développe cet été au Petit Palais à Paris. Trois décennies. 1870–1904 : de la victoire prussienne sur la France assiégée à la modernité pigmentée !

Gustave Doré, Au-dessus de Londres depuis une voie ferrée. Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg © Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, Cabinet d’Art graphique. Photo : Musées de Strasbourg, Mr Bertola

Quitter Paris

Dans le hall du Petit Palais, le fog atmosphérique calme le soleil parisien. On passera la Manche… mais pas tout de suite. D’abord, on doit regarder le siège de Paris, la Commune, la Semaine sanglante.

Les scènes de charité sur fond d’incendie par Gustave Doré. Les morts verts et amoncelés par Meissonnier. Et le très beau Soldat blessé – étrange acteur – de James Tissot.

La grande garde défend Paris assiégée et glaciale. Aux ruines s’ajoutent les ruines. La colonne de Vendôme est renversée sous le vol terrible d’un ange exterminateur. Toujours, les ¾ du tableau figurent le ciel. Le ciel qui parfois est emmuré pour mieux voir tomber les communards exécutés, plus intenses et banals à chaque esquisse…

Mais il y a soudain un effet saisissant ! Au milieu de ces cadres et après le sang, le peintre Siebe Johannes ten Cate décrit la place du Carrousel et les ruines des Tuileries, offrant à nos yeux un panorama bleu et rose qui s’abstrait des cimaises rouges. Le ciel fait la moitié de la toile. Les personnages sont incertains. Est-ce un pantalon rouge, est-ce un chien ? Ce sont des impressions, des extraits de gens.

Enfin, on prend un peu le large après l’asphyxie.

James Tissot, La Galerie du « H M S Calcutta » (Portsmouth), vers 1876, Tate, Londres © Tate 2018. Photo : Lucy Dawkins et Samuel Cole

Pour les artistes alors sans commande, c’est la voie à prendre. Ils se penchent bientôt sur le pont d’un bateau. Les vagues font de l’écume, les phares vocifèrent, les nuages se chargent. Après un long et bancale voyage, « c’est par la Tamise que l’étranger doit entrer à Londres pour la première fois[1]. »

Gustave Doré dépeint les immeubles débordants de londoniens. La ville est moderne, grouillante, fumante et ouvrière. Il y a déjà Monet, Pissarro, Daubigny. Le cercle des futurs Impressionnistes.

Le premier peint Méditation en 1871. Camille, son épouse, s’ennuie sur une étoffe très british. Près de purs effets d’automne, l’exposition montre le temps long passé par les femmes des exilés dans leurs intérieurs. Le temps passé à regarder par la fenêtre l’atmosphère humide, avec à la main un livre. C’est la lumière intérieure de Londres.

Il y a aussi les ciels de soufre de Daubigny qui s’aventure à Erith, en aval de la ville. Quand les touristes regardent la belle jetée, lui observe la rive industrielle. La lumière ouvrière.

Camille Pissarro, Jardin de Kew, Londres. L’allée des rhododendrons, 1892,  collection particulière, États-Unis

Printemps chic !

Daubigny n’est pas en même temps au même lieu que Carpeaux, qui pénètre plutôt les sphères de son mécène Napoléon III. Au Petit Palais, la Flore du sculpteur pose devant Trafalgar Square en noir et blanc. On connaît cette œuvre en France pour l’avoir vue sur le pavillon de Flore du Palais du Louvre. En Angleterre, c’est le riche bourgeois Henry James Turner qui la commande à Carpeaux. Elle est exposée à la Royal Academy sous le titre Spring, Spring, Gentle Spring. La grâce elle, se passe de traduction…

Que le printemps est chic, aussi, sous la brosse de James Tissot qui se fond dans les intérieurs de la haute comme une fleur dans une bonbonnière ! Le peintre tient l’équilibre sur le fil de sa lame virtuose pour figer l’attitude de Frederick Burnaby dans un salon bourgeonnant. En 1870, le militaire, voyageur et journaliste offre par sa pose classe et décontractée son premier sujet anglais à Tissot. Suivront les bals, les lustres et les robes dans des intérieurs de cristal et sur des bateaux très vernis.

Dehors, en toute saison, l’air est généreux d’effets. L’atmosphère voilée est humide avant de s’ouvrir, claire. Le paysage urbain est meublé moderne. Pissarro et Sisley, de retour à Londres en 1890, en donnent de grandes visions.

Claude Monet, Le Parlement de Londres, vers 1900–1901. The Art Institute, Chicago. Photo © The Art Institute of Chicago

En mai, Pissarro utilise les principes du divisionnisme pour rendre les effets de lumière sur le pont métallique de Charing Cross. Les points froids palpitent. Début juin, à Hampton Court Green, le peintre contraste l’éclat vert des pelouses avec l’ocre rouge des étables. Devant, une partie de cricket est en cours. Et sous les jambes des joueurs la peinture expire des pulvérulences de pollen.

Avant ces valses claires, Whistler jouait son piano. Ses Nocturnes sur la Tamise, sur fond gris, gris mineur, sonnent encore douces, sonnent sourdes. Dans l’air moite les lumières du parc d’attraction de Cremorne pointent comme des aigus infimes…

Cette manière de peindre est nouvelle en 1870. Elle est judicieusement placée avant la série de Claude Monet. On saute donc trente années pour savourer un effet bien pensé. Le Parlement de Londres se liquéfie dans les effets de lumière impressionnistes, la Tamise a des écailles qui réverbèrent l’air. L’instant est solennel. Consciencieux, on le retient, on s’applique, et puis et puis… et puis Derain débarque à Londres.

André Derain, Big Ben, 1906–1907, musée d’Art moderne de Troyes © ADAGP Paris 2018 et DACS London. Photo : Laurent Lecas

Le jeune peintre a déjà vu les tableaux de la Tamise de Monet à la galerie Durand-Ruel. Il a écrit au sujet du maître : « N’a-t-il pas raison de rendre avec sa couleur fugitive et peu durable, l’impression naturelle qui n’est qu’une impression ? Moi je cherchais autre chose : ce qui, dans la nature, au contraire, a du fixe, de l’éternel du complexe. »

En 1905, il fait scandale aux côtés des jeunes « fauves ». Le marchand d’art Ambroise Vollard le repère et finance en 1906 son séjour hivernal à Londres en lui commandant des vues de la ville. Derain rend hommage à Monet, choisit les mêmes motifs des bords de la Tamise, mais il en peint un feu d’artifice impossible. Et pourtant bien épais, bien solide. Londres si moderne, si opaque, était donc si ductile !

[1] Louis Énault

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