Article proposé par Exponaute

L’histoire de la salle de concert la plus célèbre d’Europe, le Concertgebouw

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Publié le , mis à jour le
« On sait que si on va au Concertgebouw et qu’on a une place à l’étage, on sera comme

devant une grande chaîne Hifi, c’est quelque chose d’extraordinaire » s’exclame Daniel Zalay, responsable du département son au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Mahler, Rachmaninoff ou encore Stravinsky foulèrent son sol, tout comme les artistes jazz et rock Aretha Franklin, The Who ou Sting. La salle de concert d’Amsterdam est souvent classée dans la liste des trois meilleures au monde et pourtant, son acoustique demeure un mystère pour les fins connaisseurs. Plongée au cœur de l’histoire insolite du Concertgebouw !

La construction : petit budget, grand espace

En 1881, le journal De Amsterdammer dénonce l’indifférence du gouvernement face au manque de salles de concert à Amsterdam, alors que tant d’autres pays européens s’en étaient dotés. Le 15 septembre, la décision était prise, Amsterdam ne saurait plus vivre sans musique !

Afin de déterminer une bonne localisation pour le futur bâtiment, on s’adresse à Pierre Cuypers, l’architecte du Rijksmuseum alors en chantier. Dans un élan de témérité, ce dernier propose le grand espace en face de son futur musée. Une fois le terrain acheté, un concours d’architecture se met en place. L’architecte désigné devra construire un espace pour 2000 spectateurs sur une surface de 130 par 55 mètres avec un budget limité à 300 000 florins. Aucun style n’est requis.

C’est Dolf van Gendt, célèbre architecte amstellodamois, qui sort glorieux du concours. Il est notamment à l’origine du Crystal Palace, réputé pour sa lamentable acoustique…

Après de nombreuses difficultés de financement et d’entente entre les différents partis, la grande ouverture de la salle de concert s’effectue le mercredi 11 avril 1888. Ce jour-ci, aucun orgue ne trône dans le grand hall bien qu’un espace conséquent soit réservé à son accueil. Plus tard, un concert caritatif est organisé pour récolter des fonds et passer la commande auprès d’un facteur d’orgues d’Utrecht.

Le Concertgebouw en 1887

3 secondes sur Mars

D’où provient l’exceptionnelle acoustique du grand hall ? Est-ce le fruit du hasard ou la combinaison réfléchie d’agents prédéfinis ? Une chose est sûre, ce n’est point grâce à l’oreille musicale de l’architecte, souvent décrite par sa famille comme quasi-inexistante, que le son se diffuse uniformément dans l’espace.

À l’époque de la construction du Concertgebouw, on pensait qu’un bon son était produit par un arrangement de facteurs indéfinis. La science de l’acoustique ainsi méconnue, Van Gendt s’est référé aux exemples dont il disposait. Il s’inspira d’abord du Felix Meritis Building d’Amsterdam pour ensuite se fier à l’architecture du Neue Gewandhaus de Liepzig et d’une salle de concert de Düsseldorf. La tendance était à la forme de « boîte à chaussures », une construction rectangulaire aux angles courbes. Forme qu’il reprend et adapte au nombre important d’auditeurs mais qu’il casse au niveau de la scène en la transformant en arc de cercle. L’acoustique y est plus réverbérante, chaude et s’associe à merveille avec les œuvres postromantiques et notamment la musique de Mahler. Le son y reste trois secondes, depuis n’importe quel siège.

« Il y a un vrai mystère autour de l’acoustique. Je compare souvent les acousticiens à des météorologistes. Il arrive parfois que ces derniers prévoient de la pluie et qu’il fasse en fait très beau ! Il y a tellement de paramètres qui entrent en jeu : les matériaux, la hauteur, les espaces vides, les parallélismes qu’il faut éviter… Si l’un de ces paramètres est négligé, l’acoustique est ratée ! Il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire pour arriver à une acoustique optimale. Les essais sont donc essentiels. Pour régler l’acoustique de son théâtre de Bayreuth, Richard Wagner avait même demandé à des militaires de prendre place dans la salle afin de voir comment cela sonnait en présence de public. » Explique Pierre Boulez. Alors, minutieux calcul ou coup de fortune ?

En sous-vêtements dans les couloirs

En 1983, l’équipe du Concertgebouw repère un risque d’effondrement du bâtiment. En effet, les pylônes n’avaient pas été suffisamment enfoncés dans le sol et les fondations pourrissaient. Le son des concerts provoquait également des vibrations qui déstabilisaient le bâtiment. Aujourd’hui, il est encore possible de se rendre compte des dommages provoqués en regardant les plafonds en biais autour du grand hall. La restauration entreprise dans les années 80 fut colossale et engendra bien plus de frais que la construction du bâtiment lui-même.

Pourtant, ce n’était point le seul défaut de cette incroyable architecture. La scène d’orchestre par exemple, était bien trop petite pour se positionner aux côtés d’un trompettiste sans s’assourdir. Aussi, les deux dernières marches d’escalier empruntées par les chefs d’orchestre peuvent se rétracter pour laisser l’espace libre, mais peuvent aussi provoquer de malencontreux incidents… En juin dernier, le célèbre chef d’orchestre néerlandais Bernard Haitink avait chuté sur scène à 89 ans !

A côté du « hall miroir » où les spectateurs venaient boire leur café, les membres de l’Orchestre se servaient du couloir… comme vestiaire ! Entassés dans ce minuscule espace sans intimité, les musiciens ôtaient leurs vêtements parfois publiquement. Dans un journal local apparut même la photographie d’un musicien de L’Orchestre symphonique de Boston en sous-vêtements. Ce léger embarras fut réglé par la récupération d’une grande salle en vestiaire. Lustres luxueux au plafond, assise circulaire munie d’un rideau, les musiciens se changent désormais dans le plus grand apparat. Même leurs casiers sont séparés par types d’instruments, pour éviter le mélange et les conflits entre égos démesurés…

Dans le grand hall, les noms des illustres compositeurs se succèdent au-dessus des colonnades. Strauss, Ravel, Mahler… Les plus grands sont affichés en lettre d’or, sauf deux d’entre eux et non des moindres. Ni Verdi ni Vivaldi ne figurent en tête d’affiche… L’Italie serait-elle boudée par le Concertgebouw ?

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