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Sur les murs, histoire(s) de graffitis

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Publié le , mis à jour le
« Illicites à des degrés divers, les graffitis s’adressent aux autorités qui ont en charge la gestion des espaces graffités[1]. » Transgressifs dans la rue, éphémères par l’interdit, les graffitis sont aussi historiques et esthétiques. Le Centre des monuments nationaux (CMN) qui gère des édifices marqués de ces cicatrices, a choisi de les magnifier. Il organise la saison culturelle « Sur les murs, histoire(s) de graffitis » proposant des parcours dans ses hauts monuments pour regarder des murs que l’on frôlait sans lire.

Le château de Vincennes © Philippe Berthé – CMN

Le livre de Vincennes

L’exposition « Histoire(s) de graffitis » au château de Vincennes est le point d’orgue de cette saison. Comme le beau livre qui étoffe ce programme – Sur les murs, histoire(s) de graffitis aux éditions du Patrimoine – elle concentre toutes les questions : pourquoi, comment, où et quand graffe-t-on ?

Laure Pressac, commissaire générale de ce cycle, commente les graffitis in situ tout en appelant les références.

Résidence royale de Saint-Louis jusqu’à Charles V puis sous Louis XIV de nouveau, le château de Vincennes se distingue par son donjon, le plus haut d’Europe. Cette tour est marquée. De tâcherons d’abord, qui notent la gestion du chantier et des ouvriers. De la vie de prison ensuite. Les pièces de la cour sont des cachots du XVIIe au XIXe siècle. Les prisonniers disent là leurs noms, dessinent des palais, ressassent des textes et parfois font leur portrait.

Dans la cellule dite « des trois religions » se confondent les temps, les décors ajoutent à l’épaisseur des murs une rumeur au lavis brun. Dans une treille végétale, des tableaux sont suspendus en trompe-l’œil et sur le mur principal se tient encore une fine basilique. À l’embrasure, une ombre humaine reste.

Les éclairages du CMN offrent une grille de lecture. Les premiers dessins représenteraient une église, une synagogue et un minaret, soit les trois principales religions. Les dômes seraient ceux de Saint-Marc de Venise ou bien de Saint-Pierre de Rome. Enfin la silhouette est peut-être l’autoportrait d’un prisonnier.

Graffiti de prisonnier daté de 1850, donjon du château de Vincennes © Romain Veillon – CMN

Exister, transmettre, créer. Ce sont les trois motifs qui poussent à graffiter.

Dès l’apparition de l’écriture en Égypte, au IVe millénaire avant notre ère, il faut dire sa présence aux murs et aux rois. Aukheparkare-san laisse en hommage à Snéfrou : « Le scribe Aukheparkare-san, fils d’Amenmésou, scribe et prêtre du roi décédé Thoutmosis Ier, est venu voir le beau temple du roi décédé Snéfrou qu’il a trouvé resplendissant… Alors il a dit : puisse une pluie parfumée à la myrrhe et à l’encens rafraichir le toit du temple du roi Snéfrou »[2].

Il y a des clameurs qui courent comme « Kilroy was here » depuis la Bataille de Normandie, d’autres qui chuchotent, les signatures de promeneurs, et puis certaines chantent encore les partitions gravées sur les murs des églises à côté des chœurs au XVIIe siècle.

Il y a celles qui suent l’ennui, l’attente, l’enfermement. Celles qui crient toujours comme le « Register » inscrit par la protestante Marie Durand, internée pendant 38 ans dans la tour de Constance à Aigues-Mortes. En gravant sa foi, elle fit acte de résistance.

Tout cela construit une mémoire qui devient matière à narration et création.

À partir du XVIIe siècle, on effectue les premiers relevés de graffitis. Et au XXe siècle, on commence à leur porter un intérêt marqué. Serge Ramond enregistre les graffitis avec de la plastiline pour les conserver plus tard au musée de la Mémoire des murs. Pour se figurer la géographie de ces traces, il faut consulter le Plan ultra-secret des graffitis historiques de Brassaï ! L’artiste ajouta au stylo ses repères sur une carte de France.

Ses photographies de graffitis furent publiéés dans la revue surréaliste Minotaure en 1933 puis exposées au Museum of Modern Art à New York en 1956. Brassaï parla alors de l’ « une des plus fortes et des plus authentiques expressions de l’art »[3].

Alors se posa la question que le château de Vincennes explicite : et si les graffitis cessaient d’être perçus comme une pollution graphique ? C’est l’expression d’un passage, un message. Et le long du chemin de ronde, entre les prénoms, les dessins, les gravures des visiteurs contemporains, sont exposés les échos du graffiti.

Cette pratique spontanée sans code est intégrée aux codes des artistes. Il y en a sur les tableaux de Poussin, il y en a dans les livres de Victor Hugo, il y en a dans les yeux de Basquiat, et dans lignes de Dubuffet.

Graff on tour[s] La Quinzaine du numérique, tour de la Lanterne, La Rochelle – CMN

De l’histoire au street art

Le graffiti est associé au vandalisme et à la dégradation gratuite. Sa pratique est considérée comme un dommage causé aux biens. Elle est passible d’amende dans les lieux publics et sur les monuments historiques.

En milieu urbain, l’éphémère fait partie dans l’esprit de son caractère. Alors les street artistes font du collage, vont dans les friches ou font de leur art une profession. Par exemple, « Lek et Sowat associent leur pratique de jeunesse, le tag, et leurs œuvres contemporaines dans la mesure « où l’œuvre c’est le franchissement et aujourd’hui les frontières on les dépasse en faisant des projets expérimentaux »[4]. »

Si bien que le street art s’expose en musée et en galerie, dans les cabines de la piscine Molitor ou à la Fondation Cartier pour l’art contemporain[5]. Et il cultive l’ambiguïté jusque dans les monuments historiques…

Car si cette saison culturelle est une base scientifique pour l’étude des graffitis – le CMN a mené des recensements et des recherches pour éclairer ces collections minérales et mémorielles – elle intègre aux parcours du street art actuel.

Installation de Lek & Sowat, tour Saint-Nicolas, La Rochelle © Théo Larmaillard – CMN

Au château d’If, les graffitis historiques bordent des œuvres contemporaines : deux installations amoureuses et temporelles par Madame, et des « Mots d’angles » poétiques composés par Marie Chéné et David Poullard.

À Paris, le street artiste C215 réalise au pochoir les portraits des Illustres du Panthéon sur les murs alentours. Les hauteurs de l’édifice sont en outre ouvertes aux visiteurs qui souhaitent visiter les graffitis normalement inaccessibles.

Le programme « Sur les murs » anime aussi le château de Pierrefonds, le fort Saint-André, les tours et remparts d’Aigues-Mortes, le site d’Ensérune. Il est à retrouver sur le site du CMN.

Graffiti des époux Godefroid au Panthéon © Romain Veillon – CMN

[1] Béatrice Fraenkel, « Graffiter, verbe d’action », Sur les murs, histoire(s) de graffitis, Editions du Patrimoine, Centre des monuments nationaux, 2018

[2] Christian Colas, « Naissance du graffiti », op. cit.

[3] Brassai en 1958

[4] Julie Vaslin, « Le Graffiti, pratique esthétique ? », op. cit.

[5] « Né dans la rue – Graffiti » en 2009–2010

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