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À La maison rouge, L’Envol ou l’inaccessible étoile

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Publié le , mis à jour le
« Bien sûr, nous ne parviendrons jamais à nous envoler, mais il en va de notre survie d’en nourrir le rêve, incessamment. Car il arrive parfois que miracle se passe… à moins que La maison rouge n’ait été qu’un mirage[1]. » « L’Envol, ou le rêve de voler » – la dernière exposition de La maison rouge – est une ode ouverte aux anges qui n’ont pas lâché le rêve de s’arracher.

Vue de l’exposition © Marc Domage

Vous êtes assis, tentez d’étendre vos jambes. Vous disputez l’accoudoir à votre voisin. Vous n’avez même pas le hublot pour voir se rapetisser les lotissements, les champs, la mer.

Vous sentez que l’on quitte doucement le parking. Les amortisseurs chahutent un peu votre équilibre. Mais bien vite, plus vite, les roues glissent sur la piste, le moteur vrombit et vous sentez un poids s’affaisser sur vous. C’est lourd, l’envol !

Du hublot de loin, vous voyez un bout d’aile de l’avion dans un petit ovale de ciel. Au moins, vous quittez le sol.

L’envol, « c’est quitter la colle du sol, la glu du quotidien. La poix du moi. Se démazouter, comme une mouette : la couche de pétrole ne s’étend pas, elle reflue[2]. »

Vue de l’exposition © Marc Domage

Parfois, des êtres comme Jonathan Livingston cherchent pour se dépoisser à maîtriser le looping, le piqué et le vol plané. Parfois, ce ne sont pas des goélands.

Plutôt que de se contenter d’avions quelques humains comme Gino de Dominicis battent des bras face à l’horizon pour tenter, sans armure, d’atteindre l’inaccessible étoile. Cette dernière n’est pas un objet, elle est un rêve que La maison rouge célèbre en déclinant son lexique.

La fondation présente les œuvres de ces « ingénieurs de l’impossible [qui] fabriquent des machines aussi belles qu’inutiles »[3]. Elle accueille des œuvres d’art moderne, contemporain, d’art brut et d’art populaire qui se lèvent par les transports de l’esprit.

Dans un coin de la maison, du haut d’un cockpit, sous la lumière bleue et sans science-fiction, on écoute Envol – Pulsations de Pierre Henry. Voilà, pris dans l’apesanteur électroacoustique, on peut s’arracher. Se laisser happer au gré d’une errance grisante dans cet espace décloisonné.

Vue de l’exposition © Marc Domage

Rêver miracle

Mais il y a un mur. Épais de bois, d’osier, de pigments, de métal et de plumes de tous les continents, de palmier et de coton, de résine… il est fait d’un masque, d’une coiffe, d’un éventail… il contient des oiseaux, un paon, une antilope, il raconte les cultes et les cosmologies du Brésil, du Nigeria, de Birmanie, du Burkina Faso.

Il est comme une assemblée acoustique qui accueille, regarde et réverbère les bruits modernes de mécaniques. Voler, un rêve inaccessible ? Gilbert K. Chesterton dit que « c’est parce qu’ils savent se prendre à la légère que les anges peuvent voler »[4]. Ces derniers n’ont pas peur de construire des engins qui nous font sourire.

Ils se lancent d’abord délicatement sur le fil, comme ce funambule traversant le Rhône photographié par Lucien Clergue. Ils croient qu’à force de danser, on peut léviter. Par hasard, un photographe saisit « ce moment miracle » quand Nijinski s’élève dans l’espace. Par modelage, Rodin saisit sa grâce.

Yves Klein, Saut dans le vide, octobre 1960, 5, rue Gentil-Bernard, Fontenay-aux-Roses © Succession Yves Klein c/o ADAGP, Paris © Photo Collaboration Harry Shunk and Janos Kender © J.Paul Getty Trust. The Getty Research Institute, Los Angeles.

Puis les anges se mettent à agiter des ailes artisanales, comme celles de Mario Terzic – 3, 5 mètres de plumes bien harnachées arquent plutôt le corps de l’artiste au sol. Ou bien ils envisagent de pédaler pour s’évader sur un vélo volant comme Gustav Mesmer. L’homme construit une machine de bois, de papier, de plastique, dès qu’il est enfin autorisé à le faire. À 61 ans, alors qu’il réside dans un hospice pour personnes âgées atteintes de maladies mentales[5]. Il conçoit même à côté des chaussures à ressorts pour amortir l’atterrissage.

Toute l’exposition flirte avec la ligne d’une rigoureuse folie. Parmi les commissaires, Barbara Safarova, qui a aussi co-réalisé l’exposition « La Folie en tête : aux racines de l’art brut » à la Maison de Victor Hugo, a d’ailleurs joué de cette heureuse confusion. On retrouve par exemple Adolf Wölfli, qui dans son délire de réinvention absolue livre une vue vertigineuse du Château Bremgarten.

D’autres créations prennent la matière pour force magique. Malvin Edward Nelson broie la terre de son terrain pour en extraire des pigments. Ces minéraux ont été modifiés par la présence d’ovnis et sont chargés des énergies de l’univers, pense-t-il en traçant des géométries volantes et des arcs aux couleurs célestes.

Il doit y avoir d’autres vies, d’autres planètes… Il doit bien y avoir des créatures ailées comme les sirènes de Kiki Smith ou les êtres de Janko Domsic. Antiques, mythiques, chimères ou fantasmagoriques, ils sont là confondus pour concentrer ce qu’ils expriment : la construction du rêve.

Henry Darger, Young Rebonna Dorthereans Blengins – Catherine Isles, Female, One Whip-Lash-Tail, 1920–30 © Kiyoko Lerner, Adagp, 2018. Courtesy Musée d’art moderne de la Ville de Paris

Deux ouvrages, deux engins projettent leurs ombres : Letatlin de Vladimir Tatline et le Corbeau de Panamarenko. Le premier est un ornithoptère, une machine pour voler inspirée des oiseaux. Le deuxième est un volatile échappé de l’arsenal idéaliste d’un inventeur poète et plasticien. Pour continuer ces deux métaphores, La maison rouge se prend pour un aérodrome.

« Si tu m’en trouves (de la mesc.), je suis ton homme […] et mon appartement sera la plage d’envol. » écrivait Henri Michaux à Jean Paulhan. La fondation propose enfin d’arriver à l’inconnu par des moyens autrement psychédéliques.

Sous la cloche de TRYPPS #7 par Ben Russel, on est au paysage du parc national de Badlands dans une lente décente hallucinatoire. Puis pour marcher sur la lune de Fabio Mauri, il vaut mieux retirer ses chaussures comme on va au lit. On atteint alors le rêve comme Little Nemo embarque pour Slumberland

Entre la folie et l’enfance, l’idée du vol tient bon le vent. Heureusement, La maison rouge était là pour la cultiver, à 14 ans passés.

 Vue de l’exposition © Marc Domage

[1] Antoine de Galbert, « Avant-propos », L’envol, ou le rêve de voler, La maison rouge, Paris, Flammarion, 2018

[2] Marie Darrieussecq, « Quitter le sol », op. cit.

[3] Aline Vidal, « Introduction », op. cit.

[4] Didier Semin, « Aviateurs d’intérieur », op. cit.

[5] Guy Duplat, « Les utopies de Gustav Mesmer : un Icare, un Panamarenko, allemand ! », La Libre, 12 février 2017

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