Article proposé par Exponaute

« Afrique. Les religions de l’extase. » 4 œuvres décortiquées

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Publié le , mis à jour le
Énigmatiques, voilées, méconnues. Telles nous apparaissent les religions d’Afrique tant elles sont empreintes de préjugés hérités de l’époque coloniale et entretenus par les médias à l’occasion de conflits continentaux. L’exposition « Afrique. Les religions de l’extase. » au musée d’ethnographie de Genève propose de revenir sur les croyances atomisées de cette immense terre où la foi se vit intensément. Au gré du riche parcours, nous avons sélectionné 4 œuvres exaltantes, 4 facettes surprenantes pour explorer en profondeur ce qui ne devrait jamais s’observer en surface.

Vue de l’exposition « Afrique. Les religions de l’extase » au MEG. Fabrice Monteiro, Holy 1, Holy 2 – série Vues de l’esprit, Sénégal, 2014 © MEG

Holy One, Holy Two. Et la photographie lève le voile sur les idées reçues. L’artiste Fabrice Monteiro cultive l’ambivalence avec deux portraits iconiques aux codes dissemblables. Sur l’une, le modèle voilé aux couleurs chrétiennes tient une bible tout en signifiant de sa main le nom d’Allah. Sur l’autre, la même femme vêtue de blanc porte une tablette coranique en présentant le geste de bénédiction chrétien. Des images qui introduisent à merveille une exposition placée sous le signe de la découverte et de la redécouverte. L’Afrique, une terre majoritairement monothéiste où le christianisme, le judaïsme et l’islam s’implantent entre le IIème et le VIIème siècle.

Reportage photographique au cœur d’une confrérie musulmane sénégalaise

Kabrou Ya Salam & Mam Cheikh – série La voie du Baye Fall par Fabrice Monteiro (1972– ), Sénégal, Dakar. 2012. Prêt de Fabrice Monteiro et Mariane Ibrahim Gallery, Seattle.

Avant la colonisation, l’Afrique comptait plus de 3 000 communautés différentes et avec elles, sûrement autant de croyances diverses. Au Sénégal, les Mourides forment la communauté musulmane maraboutique la plus importante. Fondée au XIXè siècle par cheikh Ahmadou Bamba et son disciple cheikh Ibrahima Fall, leurs dévots nommés les « Baye Fall » consacrent leur quotidien à l’enseignement de leur cheikh. Ils sont reconnaissables par leurs tenues vestimentaires codées et leurs amulettes coraniques, accessoires accueillant des versets du Coran dans un but protecteur.

C’est au cœur de cette fascinante confrérie que Fabrice Monteiro s’est immergé pendant de longs mois, découvrant un mode de vie centré sur un travail alimentaire, religieux et humaniste : «  Travaille comme si tu ne devais jamais mourir et prie comme si tu devais mourir demain. » déclarait leur fondateur. Lors de leurs pèlerinages en ville sainte à Touba, le tombeau des cheikhs, la pratique du chant et de la danse peut les mener à l’état de transe et leur procurer de fortes expériences spirituelles.

D’origine belgo-béninois, l’artiste – ancien mannequin devenu photographe – livre une représentation esthétique, énergique et expressive de groupes et d’individus. Les attitudes sont puissantes, les cadrages se placent au plus près du sujet. À la frontière avec la photographie de mode, la surcharge de textiles, d’accessoires et d’amulettes évoquent la force mystique des vêtements et des objets. Les regards percent, les cris aussi.

À Madagascar, des monuments funéraires par milliers

Monument funéraire, orimbatu par Jacques Faublée (1912–2003), Madagascar, Marovala. 1940. Don de Véronique Guerin-Faublée en 2008. MEG Inv. ETHPH 407198

Entre 1941 et 1965, le linguiste et ethnologue Jacques Faublée réalisa plus de 12 600 clichés lors de ses déplacements à Madagascar. Les monuments funéraires présents en nombre sur l’île occupent une grande place dans son travail, révélant l’incroyable dévouement des vivants à créer un espace accueillant pour les morts. Ce sont de hauts dolmens et des sculptures en bois ornées de bucranes de zébus sacrifiés durant les funérailles. Il s’agit d’une série en noir et blanc, superbe classification de ces structures chargées de symbolique. La mort, verticale dans le paysage désert de Monument funéraire, orimbatu, prend une dimension divine, grave et narrative.

Au sol, en écho à l’immense photographie lumineuse prise à Marovala, des linceuls perpétuent la narration, retracent le processus lié aux défunts. Ces étoffes de coton ou de soie couvraient les cadavres puis accueillaient les os nettoyés lors du « retournement des morts », rite effectué après décharnement afin de faciliter le passage vers l’Au-delà. Plus tard, le textile pouvait recouvrir certains individus pour les mener en état de transe et leur permettre de retrouver l’esprit du défunt.

L’état de transe en vidéo avec Zar Possession

Zar Possession (Possession du Zar) par Theo Eshetu (1958– ), Installation vidéo, 2018, Avec la participation de Samuele Malfratti, Keir Fraser, Shaymaa Shoukry et du groupe Mazaher de Makan (Egypte), Images d’archives de Jean-Pierre Grandjean (Haïti, 2003), Installation réalisée par Theo Eshetu pour le MEG

Musique authentique, image rythmée, danse de l’œil et danse du corps. Rien ne pèche dans cette puissante vidéo immergeant le spectateur dans une transe purgatoire. Le titre Zar possession fait référence à un rite de possession originaire d’Ethiopie qui visait la guérison et l’éloignement des chagrins en intégrant des rites sacrificiels. Diffusé jusqu’en Irak par les voies de l’esclavagisme, il se pratiquait surtout au Maghreb. Désormais, il représente une occasion de libération et d’émancipation pour les femmes qui provoquent ce fort état émotionnel par la pratique de la danse orientale.

Pour la réalisation, Theo Eshetu s’installa au Caire auprès des derniers pratiquants authentiques du Zâr afin de retranscrire fidèlement l’expérience et les sensations qu’elle procure. L’alternance entre le groupe de musiciens dirigé par une femme au tambourin endiablé et la danseuse orientale installe un rythme qui peu à peu s’accélère. La danseuse se dévoile, s’incarne, vibre au son d’une musique envoûtante jusqu’à passer du noir au rouge. Quand vient l’état de transe, la lumière stroboscopique électrise l’œil, l’enivre et l’embarque dans une cadence effrénée entre vision de danse et sacrifice animal.

Le nkisi, objet-force des Kongo

Objet-force nkisi, RD Congo, région du Mayombe, Kongo, Yombe, 19e siècle. Acquis à Bruxelles dans les années 1930, MEG Inv. ETHAF 021315, Photo : © MEG, J.Watts

Ce nkisi provenant de la région du Mayombe au Congo est réalisé à partir de bois, de miroir, de fer, de pigments, de textile et de matières organiques. Cette sculpture anthropomorphe de la culture kongo se veut l’incarnation d’une entité spirituelle missionnée d’agir sur le monde et ses habitants. Protéger un village, assurer la fécondité, régler des conflits ou même tuer, telles peuvent êtres les requêtes d’une communauté. Ainsi, le nkisi peut se révéler menaçant, brandissant un couteau ou d’allure sereine. À l’abdomen, une cavité permet d’y déposer diverses substances végétales ou animales composant la charge magique, le bilongo. Celle-ci est souvent recouverte d’un miroir ou d’un coquillage, symboles du monde des ancêtres sous la surface de l’eau. Agressif, brandissant une arme invisible, le nkisi photographié ci-dessus présente toutes les caractéristiques décrites, sans oublier le miroir au niveau du nombril.

Lors d’un rituel d’invocation de l’esprit, c’est un spécialiste appelé nganga qui provoque le courroux du nkisi en lui crachant au visage, en l’insultant, en lui jetant de la poudre à canon dans les yeux ou le plus souvent en lui enfonçant des clous sur le corps. Tiré de sa torpeur, l’esprit de l’objet-force peut alors réagir sur ordre du nganga et résoudre les problèmes des humains qui, le plus souvent, étaient liés à des affaires de colonisation. Dès le début du XXe siècle, ce sont les colonisateurs eux-mêmes qui éradiquèrent ces statuettes qu’ils surnommaient « fétiches à clous » et qu’ils jugeaient menaçantes envers leur politique de civilisation.

Le MEG présente une captivante série de minkisi (sing. nkisi) révoltés ou sereins, cloués ou lisses, les yeux perçants ou vides. Des objets d’art qui percutent par leur qualité esthétique et leur charge émotionnelle. Par ailleurs, sabre, amulettes coraniques, objets de vaudou haïtien ou encore paniers divinatoires nécessitent une attention toute particulière dans ce parcours jalonné de documents photographiques et vidéographiques fascinants. Scruter, considérer, approfondir et s’imprégner surtout, de ces cultures éloignées qui ont tant à nous transmettre.

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