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« En société », le Louvre expose ses pastels du siècle des Lumières

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Publié le , mis à jour le
Sous les règnes de Louis XV et Louis XVI, fulgurante fut l’ascension de l’appétence pour l’outil pastel autant que sa tombée en désuétude vers la fin du XVIIIe. Aujourd’hui, plus de 120 pastels issus de l’impressionnante collection du Louvre tracent les grandes lignes de ce siècle avec de saisissants portraits exécutés par les plus grands maîtres pastellistes. Rosalba Carriera, Maurice Quentin de La Tour, Marie-Suzanne Giroust… ont détrôné pendant un temps la peinture à l’huile avec leurs coloris veloutés, leur incroyable sens de la physionomie, leur troublante représentation des chairs.

Maurice Quentin de La Tour, Jean Le Rond d’Alembert (1717–1783). Salon de 1753. Pastel sur papier bleu marouflé sur toile tendue sur châssis à écharpes. 55,2 × 45,8 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Charles Le Brun ouvre le bal avec son étude du portrait de Louis XIV. Reconnaissable d’un coup d’œil, le roi y apparaît frappant de vérité comme en chair et en os. Mais c’est avec Robert Nanteuil que le pastel se perfectionne et ajoute une intelligence au modelé du visage. Les nuances du regard et les rides de l’âge créent l’illusion de la peinture à l’huile. 

En 1665, le pastel devient l’égal de la peinture et de la sculpture en s’intégrant dans les épreuves d’entrée à l’Académie de peinture. Six ans plus tard, Joseph Vivien entre dans l’institution artistique et y établit les codes du portrait classique. Une série de son travail représentant les grands ducs à mi-corps sur fond harmonieux de gris-bleu vaporeux installe cette nouvelle esthétique préférée à la peinture à l’huile pour sa fascinante capacité à capter les matières textiles, les carnations subtiles, les perruques poudrées. Cette élégance du rendu éthéré séduit la royauté et l’aristocratie ainsi qu’un bon nombre de figures féminines qui s’imposeront comme de grands noms de l’Histoire de l’art.

Ce sera le cas de l’artiste vénitienne Rosalba Carriera, peignant de délicats portraits féminins avec une palette suave et des courbes sensuelles. Sur ses papiers, l’impression de légèreté s’en dédouble et les esquisses non finies traduisent une audace dans le choix des coloris. Parfois, des fleurs ou un singe accompagnent le modèle et soulignent cette exactitude de la matière rappelant le translucide d’une peau à peine rosée. 

La pastelliste italienne ouvre dès lors la voie à une génération d’adeptes du bâtonnet de couleur. Le médium enchante par sa dépose délicate de coloris résistants au temps, et par sa simplicité d’utilisation ne nécessitant aucun intermédiaire, ni eau, ni pinceau, ni palette. Il peut aussi bien s’utiliser en dessin – croquant comme un crayon – qu’en peinture lorsqu’il recouvre entièrement la surface du support.

Rosalba Carriera, Nymphe de la suite d’Apollon. 1721. Pastel sur une feuille de papier bleu avec un trait de corde horizontal au centre, marouflée sur toile tendue sur châssis assemblé à mi-bois. 62,9 × 56,3 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Ainsi surgit Maurice Quentin de La Tour. « Le prince des pastellistes » à défaut de ne pouvoir être nommé roi, s’impose au musée dans toute la grandeur de son art avec une série de portraits captivants. Sous nos yeux ébahis, quelle bonté s’incarne chez le comte de Vignory ! L’incroyable réalisme du velours ou la poudre tombée de sa légère perruque se placent au service d’une admirable représentation de la profondeur de l’âme. Plus tard, Louis XV, jeune, puissant, un brin d’humour. Jean le Rond d’Alembert, rédacteur d’une certaine Encyclopédie, le regard vif et lumineux, le sourire aux lèvres. « Ils croient que je ne saisis que les traits de leurs visages, mais je descends au fond d’eux-mêmes à leur insu et je les remporte tout entiers. » semble s’être confié l’artiste à propos de ses modèles. Ce sont de réelles photographies d’âmes qui s’exposent au musée du Louvre, perpétuant ces vies vécues il y a plus de 200 ans et qui, pour certaines, insufflèrent à la France et l’Europe le goût de la tolérance et du bonheur. 

En 1745, La Tour s’installe au Louvre sur proposition du roi et dix ans plus tard, il illumine le Salon avec son grand portrait en pied de la marquise de Pompadour. Pour atteindre le format désiré, l’artiste assembla huit feuilles de papier puis peignit le visage de son modèle en sa présence avant de l’intégrer à sa composition. Gracieusement assise à son bureau, feuilletant des partitions de musique, la marquise détourne le regard comme pour nous autoriser à l’admirer toute entière, de sa dentelle blanche à son soulier exhibé. Dans ce décor à première vue classique, le carton de partition au sol, le livret déployé derrière une guitare, l’étoffe brune dépliée en arrière plan et l’habile enchevêtrement des ouvrages font sombrer le spectateur dans une volupté sous-jacente, une ivresse musicale qui éveille le sens du toucher à en palper la gorge dévoilée de Madame…

Sans connaître le même succès que La Tour, Jean-Baptiste Perronneau et Jean-Etienne Liotard s’adonnent à l’art de la craie avec brio. La Madame Tronchin de Liotard dénote alors par un fond naturel, une lumière insolite et un traitement ingénieux des matières. Celui de la dentelle relève clairement du génie.

Surprenantes apparitions, les trois célèbres autoportraits de Chardin réalisés à la fin de sa vie interloquent le visiteur qui voit enfin parmi ces visages une identité connue dans un cadre intime. À côté, se trouve l’autoportrait du maître pastelliste La Tour, tout aussi ironique.

Jean-Baptiste Siméon Chardin, Autoportrait à l’abat-jour et aux lunettes. 1755. Salon de 1755. Pastel sur papier gris bleuté marouflé sur toile tendue sur châssis. 46,4 × 38,2 cm. Musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

Progressivement, les critiques et adeptes de peinture persuadent l’Académie de refuser les pastellistes en son sein. Mais dans un environnement enclin à l’art de la craie colorée, les artistes persévèrent et en perpétuent la technique. Joseph Ducreux importe un trait plus expressionniste, Joseph Boze excelle dans les matières soyeuses et Simon Bernard Lenoir théâtralise le portrait classique. 

Limitées au nombre de quatre, les femmes admises à l’Académie s’exercent avec le plus grand talent. Le superbe portrait du sculpteur Pigalle peint par Marie-Suzanne Giroust suscite les jalousies masculines. Lui succèdent ensuite Adelaïde Labille-Guiard et Elisabeth Louise Vigée-Lebrun. Cette dernière, peintre de formation, s’exerce sous nos yeux avec un talent mesuré, qui se révèle véritablement dans sa technique favorite. 

Mais tout commence à s’éteindre. Perronneau, Liotard et La Tour disparaissent à l’aube de la révolution française. Art aristocratique par excellence, le pastel s’estompe peu à peu au profit de miniatures faciles à transporter. Les costumes d’apparat si magnifiquement représentés se simplifient et la perruque ne tarde pas à s’éclipser, la poudre blanchissante à base de farine étant privilégiée pour nourrir le peuple plutôt que pour satisfaire la bourgeoisie vaniteuse. En 1793, Boze est emprisonné à la Conciergerie et Vigée-Lebrun se réfugie dans les grandes capitales européennes. 

Cependant, certains pastellistes résistent à ce déclin. Pierre-Paul Prud’hon entretient la vivacité du trait et des couleurs chez des modèles moins figés. Derniers vestiges de cette technique phare du siècle des Lumières, les oeuvres récupérées après la Seconde Guerre mondiale par le musée du Louvre. On y trouve un magnifique Perronneau et à chaque pastel, l’histoire d’un long voyage étiqueté marque l’empreinte des événements sur l’Histoire de l’art ainsi que le rôle majeur du musée parisien. Bientôt, l’Empire solennel représenté par David effacera les traces d’une grâce royale des plus prodigieuses…

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