Article proposé par Exponaute

Rêve à l’américaine à la Fondation Custodia

Par

Publié le , mis à jour le
Rue de Lille à Paris, le rêve américain infiltre les murs de la Fondation Custodia. Les estampes du British Museum se frayent un circuit sur-mesure dans une exposition qui est aussi un panorama sur papier s’étirant de l’étage au sous-sol, d’artiste en année. C’est pensé, tout est lié, c’est pop, acide et noir et blanc, et le mirage est fait de réels mouvements !

Robert Longo, Eric, 1984, Lithographie. British Museum, Londres. Acquis avec le soutien financier d’Hamish Parker © Trustees of the British Museum et © Adagp, Paris, 2017

Il se cabre, il se tord, il convulse en costume. Eric, sur le toit de l’atelier de Robert Longo, évite les balles de tennis. En 1979, l’artiste le convoque pour le bombarder. De cette figure ultra-contemporaine qui se contorsionne, il tire un dessin au fusain sur fond blanc et des estampes. Image de grâce étrange et dynamique. « La façon dont les gens meurent dans les films a fini par remplacer la danse et le sport », dit Robert Longo qui imprime sur papier glacé la violence banale et fascinante.

Cette vision crée l’impact au lieu. Nous sommes au sous-sol d’un hôtel particulier du XVIIIe siècle. Et l’on se plaît à voir le rêve américain s’y immiscer sans gêne et sans malaise. Comme plus tôt la collection du Whitney Museum s’exposait au musée Maillol, depuis le 2 juin plus de 100 estampes du British Museum sont les invitées de la Fondation Custodia.

Ed Ruscha, Made in California, 1971. Lithographie en couleur. British Museum, Londres. Acquis avec le soutien financier d’Hamish Parker © Trustees of the British Museum et © Ed Ruscha

Sous les moulures, cela marche à merveille ! Ger Luijten, le directeur de la fondation, nous mène dans une « chapelle ». C’est ainsi qu’il nomme le passage où il a souhaité accrocher neuf cadres, neuf géométries parme sur fond crème, aussi crème que le mur : c’est troublant comme le crème est presque le même ! Cette neutralité, ce geste réflectif et réflexif est celui de Frank Stella.

Comme ce dernier, les artistes minimalistes trouvent en l’estampe un médium pour continuer la ligne, grillager le papier, varier le tracé. Sol LeWitt part d’une page striée, gondole les parallèles, les pointille, les élastique. Il n’y a plus de figure, que les pages d’une sorte d’électrocardiogramme qui se suivent, se tirent, se relâchent puis durcissent. Elles deviennent carrés monochromes, et surface écorce. C’est Richard Serra qui sonne le plein. L’amplitude est cela. C’est la quintessence de la forme, de la matière. C’est la paix, la pause.

Depuis les années 1960, on a glissé là. C’est-à-dire depuis l’essor de la gravure. Les artistes s’approprient alors les techniques de l’imprimerie commerciale, la sérigraphie, la lithographie. Ils les expérimentent et assemblent ainsi des images qui détonnent entre elles. Pub, presse, bande dessinée, tout se prend, se colorise, s’oriente, la gravure est force déviante.

Marilyn et McGovern, icônes pop et politique, sont figés par Andy Warhol comme des marques ultra-acides. Douce-amère, la frise qui fuse à côté, longe le mur, atteint son but et pique le globe de l’observateur. Il y a dessus du rose, des effluves de plage, des effets de dentelles et d’aérosol, de vraies bombes aussi, des explosions, et une souriante blondinette. Un missile coiffe sa tête. James Rosenquist a composé cette lithographie en couleurs et sérigraphie sur quatre feuilles, elle s’appelle F-111, du nom du bombardier qui servit la guerre du Viêt Nam.

Robert Rauschenberg, Sky Garden, de la série Stoned Moon, 1969. Lithographie en couleur et sérigraphie. British Museum, Londres. Acquis avec le soutien financier du Groupe Vollard © Trustees of the British Museum et © Robert Rauschenberg / Adagp, Paris, 2017

Comme Rosenquist épaissit l’actualité, Jasper Johns, Robert Rauschenberg mettent en relief les symboles et les objets eighties. Perpendiculaire à la longue horizontale de Rosenquist, une immense colonne vertébrale surplombe une cheminée de marbre. On lance Apollo 11, et Rauschenberg crée Sky Garden, la plus grande lithographie jamais imprimée à la main qui superpose des images techniques, actuelles et anatomiques à la façon d’une radiographie.

On avait dit acide ! L’usage de la sérigraphie en Californie est édulcoré aussi. Sur la côte ouest, comme à l’est les artistes collaborent avec les ateliers et adaptent l’estampe aux couleurs de leur environnement. Ed Ruscha fait des ronds dans la piscine, et dans un jus d’orange pressé Made in California. C’est frais et concentré, c’est le suc, c’est l’essence du lieu.

Et ce sucre tient parfois dans une machine ronde. Wayne Thiebaud pose sa Gumball Machine sur des lignes graphiques, des bubble gums sur rayures. Si l’on pressait seulement le bouton, toutes les billes rompraient la tapisserie. L’artiste peint aussi d’autres gâteaux, glaces et bonbons tels qu’on les lèche de derrière la vitrine, juste posés comme ça en série. La sérigraphie donne sens et allure à cette consommation vorace, à cette fascination irrésistible tant pour le peintre que pour celui qui passe et s’aimante au plateau des délices contemporains.

Vija Celmins, Ocean Surface Woodcut 1992, Gravure sur bois sur papier Whatman 1953. British Museum, Londres. Legs d’Alexander Walker © Trustees of the British Museum et © courtesy Celmins studio

Le visage de la vie américaine est aujourd’hui un panorama sur gravure élargie. Pas moins précise, ni moins attentive à chaque substance qui compose le rêve. Sous les couleurs pop, la Fondation Custodia réserve des cadres noirs et blancs contemporains. Devant Tip of Manhattan par Yvonne Jacquette, on peine à croire que c’est la xylographie qui peut créer l’illusion d’une photographie citadine. Pourtant toutes ces fenêtres creusées dans le bois forment bien le réseau nocturne de la ville.

Kara Walker crée des formules par la même confusion technique du noir et du blanc. Un autre versant du « rêve américain » point alors sur la feuille : les inégalités raciales, l’héritage laissé aux Etats-Unis par l’esclavage. Années 2000, les artistes continuent l’exploration du paysage américain par les mêmes moyens.

La Fondation Custodia révèle en son lieu d’exception des œuvres qui lui vont étonnamment bien : pour Ger Luijten, ces pièces sont « classiques ». Loin d’être déphasées en ce foyer, les estampes du British Museum ont voyagé pour trouver une place sur-mesure, un nécessaire endroit.

Roy Lichtenstein, Brushstrokes, 1967, Sérigraphie en couleur. British Museum, Londres © Trustees of the British Museum et © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2018

Vous aimerez aussi

Carnets d’exposition, hors-série, catalogues, albums, encyclopédies, anthologies, monographies d’artistes, beaux livres...

Visiter la boutique
Visiter la boutique

À lire aussi