Article proposé par Exponaute
On dit qu’il offre l’une des plus belles vues sur le mont Blanc. On rencontre ce château quand on fait le Grand Tour d’Italie. On y goûte les Lumières, on débat face aux reliefs, avant de les dépasser et de faire, au-delà, circuler les idées.
Voltaire passa les vingt dernières années de sa vie en ce château. Chassé de Versailles, indésirable à Genève, il acquiert à Ferney en 1759 un « hameau misérable » entouré de marécages. Le philosophe fait détruire l’ancien château et dirige les travaux de construction de l’actuel édifice.
Il défriche également le domaine agricole, et cultive « du peigné et du sauvage » dans son jardin en contrebas du château. Entre la France et la Suisse, son refuge est fertile et cœur qui rayonne sans cour. Là, Voltaire achève Candide et écrit son Traité sur la tolérance. Condorcet lui rend visite. Et après la mort du philosophe, Chateaubriand, Flaubert, Dumas, Michelet, Gogol font l’ « indispensable voyage »[1].
Le lieu est alors un sanctuaire voltairien. Son nouveau propriétaire, Charles Michel du Plessis-Villette, y orchestre le culte posthume du grand homme. Puis les acquéreurs successifs agencent l’ensemble à leur guise, réunissent des salles, ajoutent des édifices. À la fin du XIXe siècle, fleurissent ainsi orangerie, serres et bassins au grand jardin !
Le château est classé au titre des monuments historiques en 1958. L’Etat l’acquiert en 1999 et le confie au Centre des monuments nationaux (CMN) qui anime et restaure les lieux. Après celle des façades et des couvertures, au 1er juin 2018 la restauration des intérieurs et le chantier des collections sont achevés.
Lors de notre visite, les centaines d’objets, pastels, estampes, lustres et mobiliers, étaient encore plastifiés. Ils sont à présent accrochés et révélés. Les inventaires et livres de compte ont permis cette reconstitution. Mais deux entreprises insolites ont été également précieuses…
La première est une maquette du château en bois. Elle a été réalisée par plaisir et minutie, par Morand, valet de chambre. La deuxième est un vœu, celui de Catherine II de Russie. L’impératrice amie du philosophe a souhaité réaliser une copie du château dans le parc de Tsarskoïe Selo. Elle a donc demandé à l’architecte Léonard Racle de lever les plans du domaine qu’il avait agrandi. Ce projet n’a jamais abouti. Mais Saint-Pétersbourg a tout de même hérité de quelques échantillons… Des pièces de tissus. Grâce à ces textiles du château originel la manufacture Prelle a pu retisser les tapisseries à l’identique.
Après le vestibule et l’antichambre, on pénètre la claire bibliothèque et la salle à manger beige irisé. Les parquets à panneaux semés d’étoiles ont été restaurés selon leur état du XIXe siècle.
Dans le salon d’axe, on accroche encore deux copies peintes d’après l’Albane. Le buste de Voltaire fait face au monument à son cœur. Les deux hommages culminent en trois lignes dorées : « Mes manes sont consolés, puisque mon cœur est au milieu de vous. » On peut alors en silence pénétrer la chambre du grand homme. Elle a gardé son tissu originel, XVIIIe siècle, sur lequel l’or a résisté mais le bleu a passé. La surface semble continuer l’étoffe de la robe grand format qui s’impose au milieu : c’est le portrait restauré de la reine Marie-Thérèse.
Les appartements de Madame Denis sont fidèles à leur premier âge. La nièce de Voltaire, qui serait devenue sa compagne, occupait au XVIIIe siècle l’aile droite du château de Ferney. C’est elle qui, à la mort du philosophe, vendit le château et cèda la bibliothèque à Catherine II de Russie. Le salon de Madame est piquant de rouge et de vert, un damas de lignes verticales tissé en Chine. Dans la chambre, la flamboyance de l’alcôve est restituée. Rinceaux rouges tapissent un fond doré.
Passé cette prouesse de vraisemblance, on retrouve le marbre de l’entrée. Il date de Voltaire. Comme les faux poêles en faïence de Nyon qui copient les modèles de Delft.
Au château de Ferney, les textiles, les objets, les plans confondent les siècles. C’est que le monument n’est pas seulement la mémoire de son plus illustre propriétaire. Il porte tous les visages de ses modes, de ses ères ! La preuve, aujourd’hui il est doté d’un ascendeur pour rendre tous ses niveaux accessibles aux personnes à mobilité réduite.
[1] Stendhal
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