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Enfers et fantômes d’Asie au Quai Branly

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Publié le , mis à jour le
Du 10 avril au 15 juillet, le musée du Quai Branly nous offre une Halloween asiatique créatrice de délicieuse épouvante. Ce panorama culturel se construit autour de mésaventures incluant fantômes et créatures fantastiques de Chine, de Thaïlande et du Japon. Le temps d’un circuit, on se laisse transporter de gaieté de cœur dans d’obscurs tréfonds, parmi les spectres qui hantent les arts du spectacle, les estampes, le cinéma ou encore la bande dessinée.

Musée du quai Branly – Jacques chirac. Vue de l’exposition temporaire : « Enfers et fantômes d’Asie ». Du 10 avril au 15 juillet 2018. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde

Enfer et damnation

Profitez de la lumière du jour, vous ne la reverrez pas de sitôt ! La marche lente et le regard alarmé, le visiteur se dirige vers l’obscurité parsemée de lumières tamisées au gré des lanternes et des cris à peine perceptibles de l’esprit en cavale. Un extrait de film d’horreur en noir et blanc se colorise dans la salle suivante, aux teintes brûlantes du feu de l’enfer. En se retournant, on est pétrifié par deux masques de théâtre no. Leur bouche est entrouverte, leur regard vide et leurs orbites marquées, les traits dirigés vers le bas comme soumis, dans un monde plus bas que terre.

Chine ou Japon, les codes sont définis par les artistes pour représenter un enfer redoutable et caractéristique. Sur le Roi du 4e enfer de Wuguang Wang, le tribunal se compose de fonctionnaires en charge de préparer le jugement des vivants dont ils ont au préalable relevé les actions. Il surplombe des nuages couvrant une zone chaotique où chaudrons et démons s’apprêtent à torturer les voleurs et les tricheurs, selon les concepts bouddhiques du Karma et du Samsara.

L’expressivité des masques fascine, du juge des enfers à la longue barbe et aux yeux hagards injectés de sang, à la tête de démon rougeâtre et cornue. Derrière une toile tendue, une douce lueur révèle l’ombre de figurines de théâtre d’ombres en cuir découpé et peintes de couleurs vives, avec une perpétuelle importance accordée à l’expression du visage et aux qualités formelles des vides.

Ce sont nos peurs enfantines qui s’épanouissent devant cette profusion d’imaginaires terribles à vocation éducative. Le bien et le mal, le paradis et l’enfer, autant de valeurs manichéennes inévitables pour la jeunesse. Dans une vitrine, un masque et costume de démon de la montagne impressionnent, exercés à effrayer les enfants paresseux… En y regardant de plus près, ce n’est point le gros couteau en plastique aux bords arrondis qui coupera des langues !

En Asie du Sud-Est, les supports d’expression des mondes infernaux sont essentiellement religieux, destinés à décorer les temples pour accompagner les défunts dans l’au-delà. Les trois mondes peints par Preecha Rachawong livrent une version excessivement hiérarchisée, de l’enfer monstrueux au nirvana harmonieux. Au centre, Bouddha bienveillant trône, entouré des vivants en prière et de part et d’autre, des parieurs, chasseurs et fornicateurs ainsi que des combattants, violeurs et truands.

Sous la gueule ouverte d’un démon asiatique, une salle en demi-cercle projette une vidéo aux cris torturés accompagnée d’une installation sanglante. Un arbre à épines troue les damnés dans leur ascension, épreuve typique des enfers chinois. Tout au long du circuit, le musée du quai Branly expose des commandes réalisées par le studio de cinéma QFX, spécialiste des décors de films d’horreur participant au caractère cinématographique de l’exposition.

Musée du quai Branly – Jacques chirac. Vue de l’exposition temporaire : « Enfers et fantômes d’Asie ». Du 10 avril au 15 juillet 2018. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde

Apparitions surnaturelles

Pendant la période d’Edo (1600–1868), la bourgeoisie de la nouvelle capitale s’éprend des histoires fantastiques provenant de la littérature adaptées au théâtre. Hokusai illustre ainsi l’histoire du fantôme d’Okiku relatée sur un cartel, intégrant l’image des assiettes dans un mouvement courbe et diffusant une représentation caractéristique du fantôme. Le modèle déjà en place est celui du fantôme d’Oyuki attribué à Maruyama Ôkyo, inspiré par les visions de son épouse disparue. Séparation du sol des vivants, corps désarticulé et cheveux ébouriffés construisent la ligne de conduite à adopter pour effrayer le spectateur en bonne et due forme. Dans un couloir éclairé par une procession de lanternes, les kakemonos se succèdent, dans l’esprit de « la veillée des cent bougies » pendant laquelle les convives s’épouvantent en contant des histoires angoissantes.

Sur une typique paroi de papier de riz, l’ombre d’une femme chat s’anime dans une gestuelle menaçante, perpétuant la figure féminine des mythes d’épouvante. D’un brouillard épais, naît un fantôme sur fond de paysage nocturne lors d’une installation holographique ponctuée de cris stridents à moitié étouffés.

Néons frétillants, murs de béton froid, rideau de bandes plastifiées, le hangar désaffecté ou l’hôpital maudit prend vie sous nos yeux, visionnant des passages clé de Ju-On ou de Ring. Jeune fille couverte d’un linceul blanc, les épaules recroquevillées et les cheveux lisses recouvrant son visage, c’est la vague de la « J-horror » qui s’installe et s’internationalise, véhiculant une vision lugubre du Japon. Elle s’étendra jusqu’aux jeux vidéo avec l’illustre Pac-Man, accessible dans l’exposition.

En Thaïlande, les figures surnaturelles nommées « Phi » se propagent sur différents supports. Deux gigantesques sculptures provoquent le sursaut, suivit d’une tête volante à l’intestin gorgé de sang et d’un mannequin cafardeux à la peau ultra-réaliste. Une salle est d’ailleurs entièrement dédiée aux passages les plus représentatifs du cinéma d’horreur thaïlandais.

« Portraits des deux personnages principaux de la pièce de kabuki « Le fantôme de Kamata Matahachi », mise en scène à Tokyo en 1855. – Le seigneur Mari Yashiro, représenté à droite, a commis un adultère avec la veuve de son frère. Pour sauver protéger son h » © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Claude Germain

Conjurations

Construit comme un film d’horreur aux multiples rebondissements terrifiants, le parcours initie la dernière partie de l’exposition avec de perturbantes sculptures de « vampires sauteurs », ces créatures déguisées en mandarins sautant à pieds joints pour se nourrir du sang et de la force vitale des vivants. Les costumes sont remarquables, et en vitrine, une robe de prêtre taoïste subjugue par ses 350 personnages brodés révélés lorsque l’officiant lève les bras.

Amulettes et masques s’additionnent pour chasser les fantômes, et une série de fœtus intrigue particulièrement. Ces « bébés d’or » se sculptent avec des cendres et de l’huile de santal, activant un charme d’invincibilité s’ils reçoivent l’attention nécessaire.

La dernière salle expose des portraits d’ancêtres du début du XXe siècle sur lesquels les visages sereins s’apprêtent à accueillir une prochaine vie de réincarnation. Au centre, siège un « Kannon porteur de lotus », seigneur vénéré au Japon pour entendre les cris des souffrants et accueillir les défunts dans son paradis de « Terre pure ». Un voyage qui s’achève dans la perspective d’une vie nouvelle, s’éloignant des souffrances terrestres pour se pérenniser dans l’au-delà…

Musée du quai Branly – Jacques chirac. Vue de l’exposition temporaire : « Enfers et fantômes d’Asie ». Du 10 avril au 15 juillet 2018. © musée du quai Branly – Jacques Chirac, photo Gautier Deblonde

Dans ce voyage en Asie à travers le temps, la création contemporaine s’invite parmi les précieuses antiquités et authentiques estampes, construisant peu à peu un imaginaire culturel dans nos esprits. Comme si le visiteur avait évolué depuis sa tendre enfance parmi les visions de fantômes évanescents aux cheveux ébouriffés pour évoluer vers l’âge des films d’horreur jusqu’à sentir le temps de la réincarnation approcher à grands pas.

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