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La porte des rêves, un regard symboliste

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Grâce à une collection privée française, la propriété Caillebotte a pu rassembler plus de 160 œuvres symbolistes d’une cinquantaine d’artistes français et européens. Ils n’ont jamais formé de mouvement et sont restés attachés à leur propre sensibilité, ces artistes étalés sur deux générations nous ouvrent « La porte des rêves » du 7 avril au 29 juillet 2018.

Emile-René Ménard, 1861–1930 ; Baigneuse, ca. 1900 © Thomas Hennocque

Inspirations symbolistes : mythes et égéries

La Dame à l’anémone d’Armand Point dialogue avec la Florence du XVe siècle, avec Botticelli et Raphaël, avec une beauté pure, des corps sublimés, une chevelure sensuelle. Son Androgyne florentin soutient ce voyage initiatique au pays de la Renaissance, dessinant un être parfait et asexué, mais d’une beauté… toute symboliste.

Le regard symboliste cherche le Sublime jusqu’à intégrer de l’or au fond des tableaux, pour magnifier un ciel ou un lac. Edgar Maxence ravit l’œil avec sa procession parsemée de fleurs de lys, symbole de pureté pour les peintres du mouvement. Ses personnages avancent lentement devant nous, le regard solennel et la pensée secrète, comme un doux songe impénétrable.

Puis, La Méduse apparaît, envoûtante, majestueuse et fatale sur un fond incandescent aux couleurs flamboyantes et automnales. D’un tumulte apocalyptique, son regard perçant à la lueur verdâtre inquiète, hypnotise, ensorcelle. Camille Claudel s’essaye à nouveau au thème de la Méduse initié par Gustave Moreau et en livre une version narrative impétueuse avec Persée brandissant la tête de la Méduse d’une main et rabattant le miroir de l’autre.

Là, aux rameaux inclinés se haussant pour suspendre
Sa couronne de fleurs, une branche envieuse cassa,
Et ses trophées herbeux comme elle
Sont tombés dans le ruisseau en pleurs. Ses vêtements s’ouvrirent
Et telle une sirène, un temps, ils l’ont portée […]

Extrait d’Hamlet, 1603, Shakespeare.

Alors que le mythe d’Ophélie fascine les peintres anglais préraphaélites, Lucien Levy-Dhurmer s’empare de l’égérie pour en dégager une sensualité heureuse à travers un pastel aux tons essentiellement froids. Ses érotiques Nu orange et Harmonie en bleu déclinent le pastel dans une évanescence typique des mirages et des visions fantasmagoriques. Soudain, tout s’embrase derrière Hélène de Troie. Sa chevelure mouvementée ondule au gré des flammes attisées, et ses mèches dorées sont parsemées de plumes de paon dont le bleu n’est que le reflet de la profondeur de ses pupilles qui fixent le spectateur, témoin inerte d’une beauté source de chaos. Pour les Symbolistes, la femme magnifiée, fatale ou martyrisée, est une source d’inspiration intarissable.

Lucien Lévy-Dhurmer (1865–1953), Hélène de Troie, ca. 1898–1899 © Thomas Hennocque

Le paysage état d’âme

Lorsque Lucien Levy-Durmer peint Le lac, la nuit, il traite la peinture à l’huile comme un de ses pastels vaporeux. Le bleu manié dans toute sa profondeur, quiétude et nostalgie s’installent au creux des reflets lunaires sur l’eau dormante. Le brouillard s’immisce dans Harmonie du matin d’Alphonse Osbert. Tons taupe et pastel obscurcissent l’esprit et engourdissent le corps à peine éveillé.

Des peintures successives expriment un paysage d’une beauté indéniable dans lequel des personnages effacés se promènent en fantômes, tel l’esprit du peintre en vadrouille dans son tableau vivant. Les esprits de la nuit errent avec Les lys obscurs d’Henri Le Sidaner. Révélant un mystère caché à travers leurs paysages évocateurs, les peintres symbolistes peignent également la ville, dégageant un enchantement insoupçonné ou exploitant des éléments évidents pour les célébrer. À Bruges, le cygne déploie sa mysticité. À Saint Denis, la Seine recèle de contes fantastiques.

Dans une salle consacrée au peintre Charles-Marie Dulac, le paysage s’intériorise davantage. Les contrastes colorés de rose orangé et de bleu clair ainsi que la pureté des compositions parfois en surplomb font des toiles La Pinetta à Ravenne ou Rivière à l’aube d’Assise de véritables références aux estampes japonaises. Il y a également, dans cette découverte de l’art oriental, un appel à l’intériorité et à la méditation à travers la nature.

Charles-Marie Dulac (1865–1898), La Pinetta à Ravenne, 1897 © Thomas Hennocque

Enfers et paradis

Au gré de l’âme symboliste, créatures mythologiques et visions cauchemardesques ponctuent l’univers noir de ces artistes qui livrent des créations fascinantes. La Tête de faune de Jean Carriès s’apparente à un trophée de chasse fantastique. Odilon Redon illustre les Fleurs du mal avec quatre lithographies narratives et évocatrices. Une série de pastels inspirée de L’Enfer de Dante détaille un univers de souffrance épouvantable. Les lignes sont courbes et répétitives, les couleurs intenses jaunes et vertes s’associent au noir pour décrire un tourment infernal.

En écho, l’imposant bronze Chopin sculpté par Boleslas Biegas clôt cette descente aux enfers de manière magistrale. Des visages horrifiés s’échappent du bronze bosselé. Des profils sereins à peine suggérés semblent produits par le pianiste saisi du vent furieux de l’inspiration. Ils installent un rythme répétitif repris dans les nombreuses mains aux doigts virevoltant comme sur un piano.

Boleslas Biegas(1877–1954), Chopin, 1902 © Thomas Hennocque

Dans l’Orangerie, l’exposition se prolonge vers la poursuite de l’idéal. On y retrouve le sculpteur Boleslas Biegas avec un marbre laiteux d’une délicatesse surprenante. La sagesse se tient debout, les bras croisés, le corps voilé et le regard vide, telle une apparition de l’âme. Cantique d’amour, sculpté par Victor Rousseau, immerge des amoureux dans un bain de torpeur d’une délicieuse extase.

Nul besoin d’expliquer cette fascination renouvelée pour le symbolisme tant ces artistes laissent la part belle à un imaginaire qui façonne le mystère et perpétue les mythes. « La porte des rêves » ouvre une nouvelle perspective sur l’art symboliste par une richesse d’œuvres qui favorise la classification thématique. Une collection privée considérable dont les tableaux sont aussi éblouissants que leurs cadres…

Inondé de beauté, dérivant vers un ailleurs, le visiteur peut prolonger l’évasion de son esprit dans la propriété Caillebotte en visitant la somptueuse demeure du peintre et ses alentours, dont son charmant potager.

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