Article proposé par Exponaute

“Détenues” par Bettina Rheims, au château de Vincennes

Par

Publié le , mis à jour le
Du 9 février au 30 avril 2018, la Sainte-Chapelle du château de Vincennes est habitée de petites chapelles métalliques, habitées de portraits iconiques. La photographe Bettina Rheims y a logé des images de femmes incarcérées, qui jamais entre les murs des prisons ne sont regardées.  

Milica Petrovic, novembre 2014, Rennes © Bettina Rheims

Portraits polyphoniques

« Ces fragments ressortissent davantage des émotions suscitées par ces femmes que j’ai tant regardées que d’aucun propos spécifique que j’aurais entendu. »

Ces femmes, dit aussi Bettina Rheims, ont parfois été soulagées d’être regardées : en prison, il n’y a pas d’« autre » à qui paraître. La photographe n’a pas réalisé un reportage en prison, elle a souhaité des portraits sobres, sans décor et sans ambages. Elle voulait que la détention se lise dans les yeux des femmes.

On y lit, intensifiées par le fond blanc du studio, la lumière neutre et identique, toutes les attitudes des femmes assises sur le même tabouret dans les prisons et les maisons d’arrêt.

Des sourires, des larmes, des moues joueuses ou désœuvrées, des airs de détresse, des regards inquisiteurs. Les looks trash ou chic parlent aussi. Wiki, coiffure mi longue mi courte de chaque côté du crâne et tee-shirt inscrit – « interdit de me donner des ordres ». Josie en trench-coat beige, eye-liner impeccable.

Larges boucles argentées, haut imprimé léopard et regard charbon. Pull à papillon blanc sous un sourire franc. Robe blanche décolletée et fard à joue… Certaines ont trouvé tout cet apprêt futile, car ici personne ne les regarde.

Niniovitch II, novembre 2014, Roanne © Bettina Rheims

D’ailleurs, se faire photographier pour qui ? Pour quoi ? La plupart des femmes voulaient ces clichés pour elles-mêmes, pour leur proches, ou pour illustrer une annonce afin de rencontrer quelqu’un en sortant de prison. Chaque rencontre a commencé par une conversation entre la photographe et ses modèles, dont les bribes sont transcrites sur des carrés blancs en regard des clichés. Cela commence souvent par « elle dit », « elle raconte que », « elle aimerait… »

Au fil de ces phrases, deux réalités émergent : certaines femmes disent le désarroi insupportable d’être là. Entre la violence verbale et les cris fous, elles passent 23 heures sur 24 dans un carré de piaule où dormir, manger, se doucher. D’autres appellent cela un toit : « C’est quand même bien d’avoir un toit. Ici on a un toit et de quoi manger… C’est la fin de la galère. »

Il y en a qui se sentent bien en prison : elles y vivent depuis 20 ans comme dans une maison, trouvent normal de « payer » – le plus souvent des crimes domestiques – entre des murs qui deviennent quotidiens. Elles s’accoutument et même ont des astuces.

Il arrive que l’une se mette à élever des escargots en cellule pour profiter des bienfaits de leur bave, pour la peau. D’autres commandent de l’ecstasy « pour fêter Noël ». Cette polyphonie glace le regard qui n’a jamais pénétré la prison.

Vanessa Bareck, novembre 2014, Lyon © Bettina Rheims

Comme un oratoire de métal

Chaque portrait est singulier, et chacun a un module indépendant comme un oratoire entre les murs blancs de la chapelle.

L’architecte Nicolas Hugon a conçu un dispositif qui éclaire tout cliché, et une structure autoportante en métal qui fait froid : il a détourné sa fonction industrielle pour évoquer la prison. Mais les montants éclairés par les néons et le jour filtré par les vitraux font aussi des creux et des pleins qui évoquent des cadres décorés d’oves.

D’ailleurs, certaines femmes ont une pose de Madone, la tête légèrement penchée et le regard évasif, attiré sans ferveur vers le ciel. On dirait bien aussi des icônes.

Pour Bettina Rheims, une photographie réussie est celle dans laquelle une personne connue se transforme en une inconnue. Mais cette série inverse le propos : elle a photographié des inconnues comme si elles étaient des célébrités, et a promis, dit-elle, d’en faire « les reines du monde »…

Vaiata, novembre 2014, Rennes © Bettina Rheims

Des reines de ces femmes qui représentent 3,5% de la population carcérale. Bettina Rheims a choisi de regarder cette minorité en 2014, en se rendant à Rennes, à Poitiers-Vivonne et Roanne, enfin dans la maison d’arrêt de Lyon-Corbas.

Le Centre des Monuments Nationaux (CMN) lui a offert l’espace du château de Vincennes pour y exposer une cinquantaine de ces photographies. C’est aussi lui qui programmera cette exposition au château de Cadillac du 1er juin au 4 novembre 2018. Deux monuments qui ont été des lieux de détention pour femmes et jeunes filles.

Au château de Vincennes, bâti à partir du XIVe siècle, il y a un donjon qui a servi dès le XVe siècle de prison d’État. Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, des prisonnières politiques y ont été enfermées. Aujourd’hui, c’est entre les murs de la Saint-Chapelle de Vincennes que des « détenues » sont éclairées. Entre le gothique rayonnant et le gothique flamboyant, entre des barres métalliques dans un vaisseau unique.

Comme en écho, les éditions Gallimard éditent les portraits et textes complets de Détenues dans la grande, « Blanche » collection…

Vous aimerez aussi

Carnets d’exposition, hors-série, catalogues, albums, encyclopédies, anthologies, monographies d’artistes, beaux livres...

Visiter la boutique
Visiter la boutique

À lire aussi