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Les Hollandais à Paris : échos et révélations

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Publié le , mis à jour le
Van Gogh, van Dongen, Mondrian… les Hollandais à Paris entre 1789 et 1914, sont exposés au Petit Palais en regard de leurs confrères français. La beauté de cette exposition, c’est de révéler des manières en regard, des jeux de formules, de matières, et quelques perles nouvelles à nos yeux. Le XIXe siècle a tant de régions picturales !

Johan-Barthold Jongkind (1819–1891). Notre-Dame vue du quai de la
Tournelle. Huile sur toile, 1852. Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris,
Petit Palais © Petit Palais / Roger-Viollet

Echos et contrastes

Dans cette exposition, on passe de maître en maître et le premier mur est toujours un autoportrait.

Gérard van Spaendonck dans la tradition de la nature morte du XVIIe siècle, lisse des bouquets, des groseilles, des tulipes, jacinthes et néfliers près de la maison de Buffon au jardin des plantes. Tout comme Ary Scheffer polit les corps diaphanes de Francesca da Rimini et Paolo Malatesta. Mais ce peintre est aussi l’auteur d’une petite esquisse plus rugueuse, forte de fougue romantique : les Femmes souliotes en qualité ronde et miniature, sont des corps mêlés par l’huile grasse rouge et jaune, et tranchés sur un paysage bleu et gris. Le petit cadre est là à sa place, près des courbes impétueuses de Géricault.

Jacob Maris, Le Peintre Frederik Kaemmerer au travail à Oosterbeek, 1861, huile sur papier marouflé sur bois, Dordrecht, Dordrechts Museum © Dordrecht, Dordrechts Museum

On ne soupçonnait pas une telle matière sensible chez Scheffer, elle donne la substance des éléments chez Jongkind à Paris. Son petit autoportrait à contre-jour trahit-il déjà ce jeu des surfaces ? Sur un pan de la Rue des Franc-Bourgeois, on peut lire en lettres capitales « Fabrique de cuirs forts ». Dessus le ciel est gris, jaune, blanc. La terre et les hommes sont faits de la même matière glaise, les silhouettes se profilent au sommet d’un grand mur, hissés et à l’œuvre au-dessus de la rue crayeuse, des chevaux crayeux, des murs blanchis de craie.

Suivant les peintres de Barbizon, Jacob Maris lui peint des arbres et des rochers, des bords de villages et des lisières de forêt. Quand Díaz de la Peña représente en carré vert doré et saturé Fontainebleau dans les bouleaux, Jacob Maris laisse apercevoir l’horizon qui induit une lumière plus claire, moins crépusculaire. Elle donne même cette atmosphère blanche, humide et fluide au paysage de Bougival pensé par longueurs horizontales.

Quand Boldini répand en nobles farandoles les étoffes et soieries de ces dames, le Hollandais Frederik Hendrik Kemmer peint pour la mondanité des élégantes en voiles dans les dunes, des vues de plein air charmantes à la Boudin. Mais il applique le temps du Nord à ces plages au ciel gris, et ces chemins où le vent fait flancher les silhouettes de dames au retour de l’église.

George Hendrik Breitner, Le Kimono rouge, 1893, huile sur toile, Amsterdam, Stedelijk
Museum © Collection Stedelijk Museum Amsterdam

Révélations

Soudain en face-à-face, George Hendrik Breitner nous toise de son regard mi-clos, et nous en bas recevons les cendres de sa cigarette de pâte blanche. Nous allons voir bientôt que c’est un pro !

A Paris, Breitner contemple Manet, Degas. Mais il est un des rares peintres hollandais à importer leurs manières dans son pays, et même à les greffer à sa patte rembranesque. Ses  nus alors ont cette allure que seul lui semble pouvoir créer par l’alliance singulière d’effets étrangers. Le Nu allongé a de L’Olympia, tendu par niches de tons et couleurs qui miroitent sans contours. C’est un modèle fait pour les yeux qui s’attendent à voir flotter une chair de porcelaine entre deux velours rouge et jaune. A côté, l’autre, crue, est un scandale : une Femme debout à moitié dévêtue peinte plus tôt en 1885, bedonnante, pas rayonnante. Son éventail semble un couteau, elle nous regarde tel un fantôme de ses yeux béants et son jupon est un torchon semé de taches jaunes. Toutes deux pourtant ont un signe commun : elles n’ont pas de visage, la face est cachée entre les coudes ou brouillée comme un masque.

Vincent van Gogh, Autoportrait, 1887, huile sur carton,
Amsterdam, Van Gogh Museum (Vincent Van Gogh
Foundation)

Passé la terre sombre, on découvre un autoportrait de van Gogh tel qu’on ne l’attendait pas ! Sur un carton au fond réservé, la tête du peintre est auréolée de paillettes bleues et son regard nous fixe de biais et des ténèbres. Pourtant c’est clair, le front est si blanc et de bas en haut, la figure s’illumine. Comme la touche du peintre à Montmartre. Les traits purs sur un potager et à la fenêtre de l’appartement de Theo sont tirés de Seurat, Pissarro, Monet, mais chez lui les volets sont plus rouges, les toits plus verts et le ciel plus léger…

…chez Kees van Dongen, il est électrisé ! Par sa touche un lustre devient mi pâquerette mi feu d’artifice. Paris, dit-il, « l’attire comme un phare ». Quand il voit l’opéra russe, il le transcrit en 1909 dans des manières de Matisse ou de danseuses antiques et bourdelliennes, mais il les assouplit comme des élastiques ! Au Moulin de la Galette, les mains des hommes couvrent comme de longues limaces les courbes des femmes. Tout ondule et glisse. Quand Picasso peint une danseuse espagnole, sa figure est usée de traits intenses mais fatigués, affaissés. La danseuse indienne de van Dongen, elle, danse ! Elle n’a pas de visage, elle est un signe dynamique. Et partout hors des murs du Petit Palais, les couleurs constellées, diffractées dans la foule bariolée, se jettent en pluies d’étincelles. Même les femmes s’affranchissent de la surface  du cadre pour que l’on voie bien leurs yeux de pétales.

Mondrian à la fin resserre et ordonne cette effervescence. Le cubisme lui indique la « voie à suivre », et Cézanne aussi. Au Soleil de printemps, un château en ruine se veut structuré derrière des arbres comme des grillages. L’édifice serait sur la même ligne que la rive, n’était l’écran des branches… Peu à peu, ces bras de bois se forment en plombs de vitraux et les compositions de Mondrian recouvrent un caractère décoratif. Vient le vocabulaire de l’épure.

Kees van Dongen, À la Galette, 1904–1906. Photo Courtesy Galerie
Artvera’s © Adagp, Paris 2018

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