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Georges Michel, Le paysage sublime à la Fondation Custodia

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La Fondation Custodia à Paris vient d’ouvrir trois expositions. Parmi elles, Georges Michel, Le paysage sublime. On y savourera d’abord les ciels à la Rembrandt, à la Ruisdael, puis on s’émerveillera devant la manière libre et jamais vue de celui que van Gogh appelait « maître Michel »…

Georges Michel, Le Moulin d’Argenteuil, vers 1830, Pau, musée des Beaux-Arts, © Dist. RMN-Grand Palais/Benoît Touchard

Oh !

Entrant dans l’hôtel Turgot, on prend en pleins yeux des murs d’esquisses en plein air grimpant autour des marches de l’escalier. Un accrochage comme dans un cabinet de curiosités du XIXe siècle. On y croise des paysages danois, hollandais, des vues de mer, de villages de campagne, de pêcheurs, et des maisons blanchies au soleil d’Orient.

Des vases grecs à figures rouges, à figures noires, des figurines bleu égyptien, des porcelaines chinoises. Des vitrines reluies au grand salon bleu, les œuvres tintent dans l’hôtel de la rue de Lille : les dernières restaurations sont achevées.

Ger Luijten, à la tête de la Fondation depuis 2010, a présenté les nouvelles expositions en hissant un cadre devant son auditoire : c’était un « M ». L’œuvre d’un typographe qui entre le « ooooh » et le « mmmh » – la surprise et le délice – retient la saveur. C’est ainsi que Ger Luijten illustre la mission de Custodia : émerveiller.

Georges Michel, Paysage, environs de Chartres, Bayeux, musée Baron Gérard © Dist. RMN-Grand Palais/Thierry Ollivier

Depuis le 26 janvier, la Fondation porte au niveau de nos yeux l’œuvre de Georges Michel (1763–1843), et hissez « oh ! » c’est une merveille.

Aucune rétrospective n’avait été consacrée à ce peintre depuis cinquante ans. Cet artiste « hors zone », qui a représenté les paysages d’Ile-de-France à toutes ses lisières, s’est inspiré du Siècle d’Or néerlandais pour influencer van Gogh après sa mort. Géographie à l’envers.

Les classiques de son siècle l’ont emmené sur les friches de Saint-Denis, de Montmartre, des Buttes-Chaumont et du Nord de la Seine… il a emmené les peintres de l’école de Barbizon dans les forêts, et Vincent dans les champs français. Parce qu’il a exploré et s’est affranchi, il a atteint le sublime et a essaimé.

Portraits de nuages, portraits d’arbres

On dirait en entrant dans l’exposition que Georges Michel fait des portraits de nuages. Il y a des ciels tourmentés par les caprices du vent, des accalmies, des coups de soleil, des captations atmosphériques et des clair-obscur saisissants. Des rayons et des stries de pluie rompent parfois ces essaims en diagonales.

Sur ce ciel qui n’en finit pas de changer, il y a les repères stables d’une stricte topographie : Georges Michel parcourt l’Ile-de-France pour dessiner sur le motif, car « celui qui ne peut peindre toute sa vie sur quatre lieues d’espace n’est qu’un maladroit qui cherche la mandragore et ne trouvera jamais que le vide. »

Georges Michel, Étude d’un chêne, Pierre noire, lavis brun et aquarelle, Besançon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie © Pierre Guenat

Oui, si l’on veut bien le regarder, sur un même paysage il y a mille ciels et mille soleils, toujours cette lumière invisible qui se jette d’on ne sait où sur les blés, sur les moulins, sur les villages… et qui n’est « jamais tout à fait la même. »

Jamais tout à fait la même technique non plus. Dans la troisième salle, la matière quitte la surface stricte de la toile pour rejoindre la réalité du site. Ainsi sur le Paysage crayeux au moulin, la peinture à l’huile s’épaissit en relief blanc et brun comme de l’argile grasse modelée au couteau. Derrière et très fin, il y a le fond délié de la ville grise. Tandis que l’on marche sur le premier relief derrière le convoi, on marche sur un double paysage.

Alors que l’on croit que cela s’achève ici, le cabinet des dessins de Michel révèle d’autres portraits naturels. Il y a en introduction le bois de la Haye par Daniël Schellinks qui transmet la sensibilité des arbres, de tous les arbres, ceux qui se courbent, ceux qui ondulent, ceux qui font serpenter leurs branches jusqu’au ploiement des feuilles, ceux qui se dressent solennels et dépassent le cadre…

Georges Michel aussi fait des ensembles avec en perspective des arbres en colonnades, mais ses études isolées sont de véritables portraits. Le chêne est un tronc fin qui se divise à la tête et sur tout le corps porte ses feuilles comme des effluves. Le saule écimé, une large souche en contraste, est pailleté de feuilles ovales comme des mains épanchées sur un torse fragmenté.

Georges Michel, L’Orage, Rotterdam, Museum Boijmans Van Beuningen © Studio Tromp

« Quand tout marche tout seul »

En 1883, dans une lettre à son frère, van Gogh écrit à propos de la peinture, objet d’incertitudes :

Il ne s’agit pas là de découvertes fortuites […] mais il s’agit d’un savoir, et je crois qu’il est arrivé à Michel, avant la période où tout marchait tout seul, d’être étonné et déçu parce ça ne marchait pas tout seul.

Là, van Gogh se rassure en pensant à son aîné qui lui aussi a bien dû se débattre et rebattre ses modèles avant l’envol. Au début effectivement, les moulins de Michel sur la butte de Montmartre dominent le paysage à la manière du Moulin de Rembrandt, le ciel est jaune et perce encore les nuages à la verticale.

Mais quand van Gogh loue les grandes étendues et les couleurs élémentaires à la Michel, il s’inspire des tons propres d’un peintre qui s’est progressivement affranchi de ses modèles pour n’en retenir que l’atmosphère, la courber et la tourmenter.

Georges Michel, Paysage, Fusain et estompe, New Haven, Yale University Art Gallery

Le Paysage avec moulins au vent est presqu’une épure brune sur un ciel blanc. La Sablonnière combine l’effet d’un ciel horizontal – des nuages comme de longues flaques – avec un chemin qui ondule en lignes simples et serpentines.

Le Paysage aux environs de Chartres présente quant à lui sur la plaine éclaircie un vert très tendre et un bleu presque lagune sous des nuages touffus comme des froufrous légers qui se déploient doucement.

Enfin L’Orage illustre un éclair brisant une nuée qui tombe en deux travées. Georges Michel y introduit le récit par deux silhouettes noires cheminant sous le grand ensemble sombre des nuages et du feuillage. Une violente accalmie.

Georges Michel, Vue de la Seine avec une diligence, Paris, musée du Louvre, Département des Peintures © Dist. RMN-Grand Palais/Jean-Gilles Berizzi

Là, il ose tout, parce qu’il ne craint plus ni critiques, ni acheteurs, ni visiteurs… Il peint des ciels en furie, des apparitions météorologiques, des calmes effrayants et des silences de glace. Il semble qu’il a conscience de notre terre dans ses premiers âges […].Là il est lui et [il] y dégage un sentiment très vif du paysage[1].

Quand on observe les dessins de Georges Michel, ces terres et ces ciels blancs par réserve et délicatesse, on saisit le sens du papier qui est aussi la matière du paysage que le dessin fait affleurer. Les arbres et les nuages ne naissent que de ces épaisseurs qui se révèlent par feuilles, par contrastes, par surfaces et estompes que viennent cribler des traits affirmés.

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[1] Alfred Sensier, 1873

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