Article proposé par Exponaute
Il y a d’abord les gens de l’Italie. Les gamins du Sud en bermudas sautent d’un fronton en frise et en éclats de rire. Les femmes au lavoir forment un bandeau de robes de dos. Et puis il y a celles qui attendent le bus, elles s’ennuient, papotent, rêvassent, elles cuvent leur fatigue…
On embrasse les tendres vues de l’Emilie, des gens du Delta, de l’Italie du Sud au Nord dans les années 1950, et en pensée, la ritournelle d’Adriano Celentano parvient à nos oreilles… « Questa è la storia di uno di noi… » né par hasard via Gluck à Milan après la guerre, quand l’Italie peu à peu revit. Le couvre-feu est levé, les rires peuvent sortir le soir dans la rue et les gens circulent dans leur ville sans regarder derrière eux, les maisons d’avant regardent les immeubles pousser là où il n’y avait que de l’herbe. Un monde d’éléments est à apprivoiser.
Les clichés sont familiers et même drôles, toujours spontanés et sincères. Quand ils semblent concomitants ils peuvent être pris à des intervalles de temps différents, le temps que prend Migliori pour « faire connaissance » avec ses modèles, nous apprend la commissaire. Le temps intense et italien aussi, qui sur les murs des maisons raye la terre de Sienne avec les volets, et en hiver les couvre d’une neige de plomb.
Parfois aussi, la photographie atteint le registre pictural et grave. La vision directe et nue d’un jeune garçon en bras de chemise courbé sous le poids d’une épaisse planche de bois a la lumière et la dignité d’une peinture de Murillo.
Mais c’est dans la lignée de l’esthétique néoréaliste que Nino Migliori éprouve « le besoin de saisir la vie ». Devant ses premières œuvres, on a aussi la sensation qu’il intensifie le moment. Miglori rencontre les gens dans les fêtes, dans les cafés, chez le coiffeur, au bar, à la plage, à l’église…
Il nous conte cette époque. Lui est né à Bologne en 1926, où il vit et travaille encore. Il expérimente aussi, capte et invente de nouvelles lumières.
Passé la porte, nous voilà face à d’autres systèmes ! On nous dit que ce sont des « hydrogrammes », ou bien des « cellogrammes » faits avec du cellophane entre deux plaques de verre traversées par la lumière. Bref, le rêve d’autres matières ! On y voit comme des écailles translucides et triangulaires, et La mia città en cliché-verre qui sous l’effet de la pression exercée sur la plaque, devient un motif comme du tissu froissé, plié, replié.
Un jour Nino Migliori a même décidé d’épaissir la surface et de faire des Murs. Ce sont des photographies réalistes de parois corrodées, colorées ou graffées, collées sur de l’aluminium et du sable. L’artiste re-crée la matière urbaine qui dans les cadres prend des reflets cuivrés et des airs d’aquarelles saupoudrées de grains.
Si l’on traverse ces murs, on découvre la série Lumen rythmée comme un tonnerre. La Lamentation sur le corps du Christ, un groupe en terre cuite réalisé à la fin du XVe siècle par Niccolò dell’Arca est éclairé à la torche ou à la bougie par Nino Migliori se promenant dans l’obscur silence du baptistère de Parme… Quand un cri strident déchire la matière ! Alors chaque expression des visages et des gestes est disséquée à la lumière originelle. Elle exacerbe le théâtre vivant de la sculpture : les rides et les sillons dans la peau moite, les sourcils froncés ou circonflexes, les doigts crispés qui se tendent au bout des bras accablés.
Dans la série de Polaroids agrandis Cinquante par soixante, ne manquez pas l’envol de colombes en instantané. Pour les capturer, Migliori s’était fait construire une grande volière…
En sortant, vous pourrez faire un clin d’œil à l’autoportrait accroché à l’entrée de l’exposition. Un tirage jet d’encre à pigments. Une tête malicieuse rouge et ronde comme une tomate sur un dos gris torse nu. Au bout les mains tiennent le cadre hors du cadre, une farce !
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