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Le Dubai Frame, un cadre et une controverse

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Publié le , mis à jour le
Dubaï ajoute sur son paysage superlatif une nouvelle proposition : le plus grand cadre de la planète. Des centaines de personnes sont venues visiter le Dubai Frame le 1er janvier 2018, jour de son ouverture, pour être les premiers à contempler la vue imprenable qu’il offre sur la ville… Visite au plus haut d’un édifice qui aurait perdu son architecte.

Le Dubai Frame © Victor Besa pour The National

Un cadre pour la skyline

Il s’élève jusqu’à 150 mètres au-dessus du Zabeel Park, il est incrusté de motifs dorés comme des cercles damasquinés, qui réverbèrent sans retenue le soleil. C’est le Dubai Frame qui vient d’ouvrir.

Pour 50 dirhams – soit 4.45 euros – les visiteurs sont invités à contempler l’histoire des Émirats à coups de projections et d’hologrammes, avant de monter dans un ascenseur en partance pour une galerie d’exposition de 93 mètres de long, au sommet du cadre.

Longeant une passerelle vitrée, ils profitent de la vue plongeante sur la cité dorée de Deira au nord, et sur les gratte-ciels qui flanquent la Sheikh Zayed Road au sud. À 48 étages au-dessus de la terre.

Un tunnel « vortex » éclairé au néon les mène ensuite vers une exposition interactive, sur le Dubaï du futur. La réalité augmentée offre tous les possibles pour imaginer les Émirats Arabes Unis tels qu’ils pourraient être dans 50 ans.

C’est comme un pavillon de l’exposition universelle à venir. D’ailleurs, tout le bâtiment est marqué des cercles d’or du logo de la marque, Dubai’s Expo 2020. Comme un panneau publicitaire monumental pour l’extravagance à venir.

Le Frame est l’un des profils les plus surréels parmi ceux qui s’élèvent sur la skyline de la ville. Un vide élancé, un étrange rectangle visible à des kilomètres, les contours d’une fenêtre, un cadre en plein air sur une ville qui dit son chef d’œuvre. Et du pont de verre liant deux tours dorées, pleine vue sur elle.

On peine à discerner l’échelle de cette arche. Mais l’édifice est aussi controversé car son architecte dénonce un pillage.

« Ils ont pris mon projet, ont modifié le design et l’on construit sans moi », déclare Fernando Donis, l’architecte mexicain dont la proposition a remporté une compétition internationale en 2008. Il devait répondre à la commande d’une « structure emblématique pour promouvoir  le nouveau visage de Dubaï ».

À l’intérieur de la galerie reliant les deux tours © Victor Besa pour The National

Un projet sans son architecte

La compétition était organisée par le groupe de sidérurgie allemand ThyssenKrupp en collaboration avec l’Union Internationale des Architectes (UIA), une organisation affiliée à l’Unesco qui avait déjà dirigé les concours pour l’Opéra House de Sidney et le Centre Pompidou à Paris. Plus de 900 participants, originaires du monde entier, avaient concouru.

Le défi était de créer un nouveau bâtiment comme un énième repère, qui cette fois s’élèverait de la foule des édifices flamboyants.

Donis était bien placé pour le relever. Lorsqu’il travaillait pour Rem Koolhaas à l’agence OMA, à Rotterdam, il avait dessiné nombre de projets « anti-iconiques » pour Dubaï, dont un non réalisé pour un bloc rectangulaire blanc et monolithe baptisé la Renaissance, dont le but assumé était d’en finir « avec la période actuelle d’idolâtrie architecturale. »

Pour la compétition de 2008, il était allé plus loin. « À la place d’une autre structure massive, j’ai proposé un vide. Quelque chose qui encadrerait tous les autres bâtiments. » C’était un monument de minimalisme.

Sur son projet, un cadre blanc élancé se démarque de la cacophonie des silhouettes nouvelles et fantaisistes, et pourtant les contient toutes en son sein. Une clarté façonnée en béton et en acier, qui change d’aspect selon les angles de vision dans la ville.

L’architecte a reçu 100 000$ pour son prix, et un vol pour Dubaï afin de célébrer sa victoire. Mais peu de temps après, il aurait reçu un contrat de la municipalité de Dubaï limitant son implication à un rôle consultatif. On lui aurait ainsi imposé de céder ses droits de propriété intellectuelle, de ne jamais visiter le site en construction et de n’en jamais faire la promotion en le présentant comme une œuvre de son esprit. La municipalité aurait pu rompre l’accord à tout moment.

Donis refusant de signer, la municipalité aurait engagé Hyder Contulting, une branche d’Arcadis, bureau d’ingénierie néerlandais. Et continué sans lui.

Vue du haut de la galerie vitrée © Victor Besa pour The National

« C’est un acte d’arrogance suprême », déclare Edward Klaris, l’avocat qui a engagé une poursuite judiciaire au nom de l’architecte l’année dernière, en vain.

Les Émirats arabes unis se présentent comme un pays qui respecte la propriété intellectuelle, mais ils portent atteinte aux droits d’auteur de manière flagrante. Le système légal de Dubaï rend impossible toute poursuite de la municipalité, à moins que celle-ci vous donne l’autorité de le faire. Ils s’accordent leur propre immunité souveraine contre toute action en justice.

La municipalité, contactée à plusieurs reprises par les journalistes du Guardian, n’a fait aucun commentaire, et n’a jamais accordé d’accès au chantier. Dans une lettre adressée à Donis, ThyssenKrupp déclare que la situation représente un « désaccord commercial » et que la compagnie «  n’a pas la possibilité d’interférer ». L’Union Internationale des Architectes, elle, affirme que toutes leurs compétitions requièrent l’adhésion aux principes représentés dans le règlement de l’UNESCO (qui protège la propriété intellectuelle). Néanmoins, l’UIA ne peut légalement intervenir dans les suites d’une compétition.

Donis n’est pas retourné à Dubaï, mais il a suivi l’évolution du projet par le biais des médias sociaux. Il a ainsi relaté son sentiment au Guardian :

J’ai l’impression que cela s’incruste sur l’horizon exactement comme on l’a proposé. Bien sûr nous l’aurions voulu beaucoup plus subtil, avec moins de décor, mais cela rend exactement ce que je souhaitais. J’aurais adoré participer à la mise en œuvre.

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