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« Le Piège » : Lizzie Sadin s’infiltre en Népal clos

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Publié le , mis à jour le
Nous vous avions annoncé l’exposition prochaine des photographies de Lizzie Sadin, lauréate du 8e Prix Carmignac du photojournalisme, à l’Hôtel de l’Industrie de Paris. « Le Piège – Traite des femmes au Népal » y est bien logé depuis le 20 octobre, et se visite jusqu’au 12 novembre. C’est comme entrer dans la nuit des femmes, à Katmandou.

King Road Street, quartier central de Katmandou, avril 2017 © Lizzie Sadin pour la Fondation Carmignac

Les lieux pour la nuit… et en plein jour aussi

Entrant dans les lieux de l’exposition, on est attiré par cette silhouette qui virevolte dans la nuit. Entre les rampes luisantes, sa robe tourne sur elle-même. Il y a des paillettes, des couleurs d’arc-en-ciel qui brillent et des lumières artificielles décuplées en mille facettes sur les lames des miroirs. On ne voit pas son visage. C’est du spectacle.

Dans les dohoris (bars chantants) et dance bars s’excitent ainsi les feux multicolores au rythme des boules à facettes. Et parfois sur la scène les propriétaires simulent une scène de viol avec les danseuses devant les clients.

Lizzie Sadin a infiltré ces espaces intérieurs par l’enquête. Elle est allée et est retournée sur les lieux  pour discuter mais aussi prendre des photos à la dérobée, comme de ces scènes réelles ou simulées de sexe.

Kopila, 18 , cabin restaurant, Usha Bar, Kalanki, quartier de Katmandou, mars 2017 © Lizzie Sadin pour la Fondation Carmignac

Un club aux couleurs criardes, un femme sur ses chaussures à plateformes se tient à la verticale parmi les colonnes rouges, orange et noires. Les serveuses comme elles sont danseuses, entraîneuses, prostituées : il n’y a pas de frontière entre les métiers.

Il faut toujours remettre du rouge aux lèvres. Et sourire aussi. Elles rient entre elles en intimité comme une communauté solidaire se retrouve une minute à la « pause », entre deux danses et deux passes.

Elles sourient moins de jour, les filles du Népal dans les cabin restaurants, et les salons de massage. Ces lieux ressemblent à des prisons divisées par des palissades de bois qui ne vont pas jusqu’au plafond. Elles esquissent tout de même un air charmé quand elles s’isolent dans un box avec un client du restaurant.

Sur elles, la lumière est toujours crue, c’est celle du reportage. Lizzie Sadin fait des portraits de filles à nu qui se cachent. Saru, 27 ans, applique son masque de maquillage. Nilan, 21 ans, voile son visage d’un drap noir.

Rita, 17 ans, Chabahil, quartier nord de Katmandou, avril 2017 ©Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du photojournalisme

Des aides et des appels

Les photographies sont toujours expliquées simplement et clairement par les faits et la narration.

La reporter dit que c’est chaque fois la même histoire : un inconnu, ami, oncle, cousin, promet une vie meilleure, des bijoux, des étoffes luxueuses et de « nouvelles opportunités » à Katmandou, la capitale. Ou bien en Inde, en Malaisie ou au Koweït, nouveaux horizons. Le système en mafia illusionne et profite des espoirs.

Lizzie Sadin raconte aussi la suspicion des autorités, le mensonge des accusés, le déroulé des arrestations avec toutes les informations : lieu, date, protagonistes.

Passage par la frontière, Bhairahawa, district de Sunauli, mai 2017 : affront des regards, gestes, accusation, et un trafiquant derrière les barreaux porte un T-shirt sur le quel est écrit : « Je ne suis pas EN danger, je suis LE danger ».

Passage par la frontière, Bhairahawa, district de Sunauli, mai 2017 © Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du photojournalisme

Le trafic est interne ou externe au pays. Mais ce qui partout lie ces femmes, outre leur avilissement, c’est qu’elles n’ont pas la conscience d’être victimes. À Katmandou comme à l’étranger, elles sont des produits de l’industrie du « loisir », et non des proies prises au piège de tentacules resserrées sur elles. Et quand la marchandisation d’une personne est un fait courant, les femmes, les filles, les enfants disparaissent dans l’air ambiant.

Pour la photoreporter, l’éducation, l’information, le système entier qui normalise la supériorité des hommes sur les femmes, sont à changer.

Elle photographie les associations qui œuvrent en ce sens, et surtout pour la sécurité des femmes. Certaines contrôlent les convois à la frontière terrestre de Birgunj, district de Parsa : frontière ouverte, où aucun papier n’est demandé. Le goupe anti-trafic Maiti et la police s’associent pour vérifier les véhicules.

Birgunj, district de Hetuda, mai 2017 ©Lizzie Sadin pour le Prix Carmignac du photojournalisme

À l’aéroport aussi, circulent les faux passeports pour atteindre le Moyen-Orient, l’Inde, la Malaisie et l’Asie du Sud-Est. Lizzie Sadin évoque tous ceux qui s’envolent pour se faire domestiques en espérant quitter leur condition. À  l’arrivée, ils subissent stress, épuisement, harcèlement, malnutrition, … Un abrutissement qui souvent finit par le rapatriement au Népal… en cercueil.

Et sur les murs des postes de police s’accumulent les photographies d’enfants disparus. Ils forment une cartographie des routes de la traite. Les enfants de la prostitution qui n’ont pas de père sont dans la rue des proies sans défense. L’association Les Maternelles de l’espoir les héberge dans un centre d’accueil du matin au soir, durant le temps de « travail » de leurs mères.

L’association Planète Enfants & Développement, qui agit contre la traite des êtres humains au Népal depuis 1997, rend possible le nécessaire. Elle a accueilli Lizzie Sadin à Katmandou et a accompagné son reportage.

La photographe montre ce qui peut être fait, même si ces faits sont fragiles. Rita, 17 ans sur la photo de l’affiche, était prostituée en Inde. Un raid de la police l’a libérée et l’organisation Shakti Samuhala l’a rapatriée au Népal.

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