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Le Palais de Tokyo donne carte blanche à Camille Henrot

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Publié le , mis à jour le
Après Tino Sehgal l’année dernière, Camille Henrot nous promène en Palais de Tokyo. « Days are Dogs », c’est le titre de son parcours. L’expression anglo-saxonne « Dog Day » désigne une journée éreintante. Et nous marchons dans une semaine conçue sans fard qui n’occulte pas la pénibilité des jours. Qui parle de nous, et parle à nous frères humains.

Vue de l’exposition « Days are Dogs », Carte Blanche à Camille Henrot, Palais de Tokyo, Portrait de l’artiste en jeune homme, courtesy de l’artiste et de Metro Picture (New York) ; kamel mennour (Paris/Londres) ; Galerie König (Berlin) © ADAGP, Paris 2017 – Photo : Aurélien Mole

Un semainier mystique et familier

Dimanche je reste chez moi,

En un sublime désarroi.

Lundi ma tête est envahie

De rêves trop lourds pour quitter le lit.

Le mardi je prends les armes

Chuchotant dans le vacarme

Que mercredi fait partout résonner

Quand jeudi ordonne de le noyer.

Le ton de l’intime est donné.

Camille Henrot part d’un principe : la semaine est une fiction, « une invention humaine ». C’est donc un récit construit par l’homme, teinté des qualités attachées au divin élément de chaque jour.

Lundi est lune. Mardi est Mars. Mercure gouverne mercredi… les symboles infusent des émotions originelles, et Camille Henrot rappelle que ce lien est toujours contemporain.

Elle agence l’espace du Palais comme un semainier, chaque salle a son jour et sa page d’agenda suspendue au mur.

Le dimanche est chez soi. Il y a dans ce grand espace la lumière claire du jour passé à lire, à flâner, et un Portrait de l’artiste en jeune homme composé de cycas du Japon, bouleaux, pimprenelle, angélique et saule. « On pouvait mourir aussi bien par un jour de soleil », ou la mélancolie dominicale le long des phrases qu’inspire James Joyce. Les végétaux transpercent en Mikado le grillage de métal, extase de rayons. Il y a dans la même pièce Lady Chatterley et Le Seigneur des Anneaux en condensés de références et dilettante.

Camille Henrot, The Pale Fox, Westfälischer Kunstverein, Münster, 2014–2015, Commissioned and produced by Chisenhale Gallery in partnership with Kunsthal Charlottenborg, Copenhagen; Bétonsalon–Centre for art and research, Paris and Westfälischer Kunstverein, Münster, Photo: Thorsten Arendt, courtesy of the artist and kamel mennour (Paris/London); König Galerie(Berlin); Metro Pictures (New York) © ADAGP, Paris 2017

Il y a le jour, et le soir du dimanche avant le lundi : « maintenant tout est sombre et la nuit est venue […] Et demain, il faudra se lever. » Mais « quelques pages encore… » Nous nous reconnaissons dans les mots de Camille de Toledo. Et dans le désordre niché dans les recoins de la salle bleue, nuit qui nous imprègne. Des téléphones, des magazines traînent, des outils, clés, ciseaux, un peu de thé…  Et puis et puis… c’est « always Monday again », entre le dimanche et le mardi.

Camille Henrot, Deep inside, 2005, musique originale de Benjamin Morando, chanson écrite par Nicolas Ker et Camille Henrot, courtesy de l’artiste et de kamel mennour (Paris/Londres) ; König Galerie (Berlin) ; Metro Pictures (New York). © ADAGP, Paris 2017

Atteignant le vendredi, il y a le choc de l’amour et son chagrin. « It’s Friday I’m in Love » chantent The Cure. Car Vénus stimule nos sens et nos sentiments. Le désir et le vœu d’un amour qui dure toujours, l’effusion violente des sensations et des émotions finissent, florales délicatesses, par brûler la peau, par les larmes salées du chagrin. L’effet d’acmé se vit physiquement et la nature des médiums choisis par l’artiste ose éprouver la sensibilité du cœur et du corps du visiteur.

La rumeur de l’humeur populaire

Saturday,  si nous l’attendions, est en introduction ! C’est le premier film de l’exposition. Saturne gouverne ce jour de tous les possibles, car il est en grec Chronos, dieu du temps. L’Église adventiste de New York à Papeete y lit un jour sacré. Camille Henrot filme cette communauté et interrompt la quiétude de ses gestes par des rumeurs populaires.

Camille Henrot, Saturday, 2017, image source, courtesy de l’artiste ; kamel mennour (Paris/Londres), König Galerie (Berlin) ; Metro Pictures (New York) © ADAGP, Paris 2017

Avec nos lunettes 3D, assis devant l’écran, nous sommes au milieu du monde où tout se passe, où la ruine succède à la ruine. Les mots d’un bandeau façon BFM TV défilent comme les nouvelles et résidus de la terre en désastre ployant sous les bombes et les ouragans. Nous atteignons bientôt l’overdose d’images contemporaines passées en boucle, quand les eaux baptismales font trêve et renaissance. Baignés dans et hors des eaux du monde, nous devons endurer – déjà ! – notre réalité.

Camille Henrot, Single Parent (série Bad Dad), courtesy de l’artiste et de Metro Pictures (New York) ; kamel mennour (Paris/Londres) ; König Galerie (Berlin) © ADAGP, Paris 2017

Nous retrouvons notre reflet le mercredi, jour de Mercure messager. C’est le moment de marcher entre les fresques immenses de l’artiste. Ses aquarelles posées sur les murs sont comme des illustrations à grande échelle, les empreintes délavées des clichés de nos vies. Nous sommes des êtres étranges et hybrides, des animaux et pas que des chiens…

Camille Henrot, Office of Unreplied Emails, photo : Roman Maerz, courtesy de l’artiste et de König Galerie (Berlin) ; kamel mennour (Paris/Londres) ; Metro Pictures (New York) © ADAGP, Paris 2017

C’est le jour des messages dans notre monde globalisé. S’amoncellent dans nos messageries et au sol de la salle, les journaux, les emails. Nous évoluons entre ces grandes banderoles et lisons avec ironie les objets des messages, grandes affaires et offres commerciales. À la question qui brûle « Are you being cheated on ? », Camille Henrot répond sérieusement, réplique aux assauts de Public Records et TripAdvisor.

Camille Henrot, Is he cheating, courtesy de l’artiste et de Metro Pictures (New York) ; kamel mennour (Paris/Londres) ; König Galerie (Berlin) © ADAGP, Paris 2017

Plus loin nous pouvons décrocher des téléphones coulés en résine, installations ludiques aux morphologies plastiques, élastiques… dans une salle futuriste ? Mais non, car c’est de nous aujourd’hui que l’on nous parle au bout du fil. Il y a le Père Noël nous demandant notre liste. Il y a aux murs les messages de l’hyper-communication ! Le plus difficile est encore de choisir son combiné préféré entre les rayons de l’hyper-consommation.

Nous marchons dans un Palais en semainier. Intime et universel, étrange et familier.

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