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« Et 1917 devient révolution » : la mémoire bruisse à l’Hôtel des Invalides !

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Publié le , mis à jour le
Et soudain, un éclat tonne ! La révolution russe de 1917 s’expose en ce moment entre les murs de l’Hôtel des Invalides. Des documents uniques de la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC) – affiches, tracts, films, photographies, presse illustrée… – relatent les faits en images et en mouvement. Pour qui veut bien se mettre à l’écoute des archives de la mémoire, l’oreille mène l’œil vers quelques surprises graphiques.

Lénine à la tribune. Photographie, retirage (1960–197), coll. BDIC

Éclats populaires

En février 1917, le tsar Nicolas II abdique sous la pression d’un peuple épuisé par la guerre.

La représentation chatoyante de la famille impériale s’écorne. Deux ans plus tôt pourtant, Nicolas Alexandrovitch, empereur souverain autocrate de toute la Russie et l’impératrice Alexandra Fedorovna, sont encore majestueux sur un fond rouge glorieux.

Anonyme, « La famille impériale », Moscou, 1915, estampe, coll. BDIC

Mais au loin nous parviennent des clameurs. La nouvelle démocratie révolutionnaire – les soviets – et le gouvernement provisoire de Kerenski cohabitent à partir de cet hiver 1917. Lénine et les bolcheviks, au nom des soviets, renversent le Gouvernement provisoire et s’emparent entièrement du pouvoir en janvier 1918. Ils imposent leur révolution : le « siècle soviétique » est en marche.

En noir et blanc, s’anime le film des manifestations à Laroslav dans les premiers jours de la révolution de février. Le soulèvement d’un peuple bruisse à son commencement.

Karl Bulla, Épisode de la guerre de rues. La foule fuyant sous le feu des mitrailleuses à l’angle de la rue Sadovaïa et de la perspective Neski. Insurrection Nevski, 4 juillet 1917. Épreuve gélatino-argentique. Coll. BDIC.

La foule bientôt se disperse en fuite dans les rues, des hommes sont à terre, en élan, en déroute, c’est l’insurrection sur la Nevski. Trois mois plus tard, Lenine est à la tribune, photographie iconique d’un homme impétueux et tendu en avant.

L’effervescence démocratique de ces années est aussi graphique. L’exposition révèle des inventions plastiques, des pépites et des chefs d’œuvre méconnus !

Révélations graphiques

Il y a les images savoureuses : « Comment vivait et travaillait le gouvernement provisoire ? », par Victor Deni dans Bitch. Les hommes du gouvernement n’ont pas de visage et leurs figures sont ballantes, passives, les bras croisés. Il y a les schémas modernes : Sur la Néva de Jean Pougny, traduit à l’encre de Chine la forme de Petrograd au cœur de la révolution.

On saisit la chute du tsarisme comme un glissement graphique. Henri Gervex avec La Bénédiction du pope peint de manière académique l’autorité spirituelle et magnifique du pope en 1916, et l’héroïsme de l’officier blessé. C’est au cœur de la guerre une peinture de propagande interalliée.

C’est un ciel parme, une robe superbement violette, et une file longuissime. Le pope a béni des centaines de soldats, des milliers d’autres attendent au milieu d’un désert improbable, où dans la neige est creusée une infinie tranchée.

Henri Gervex, La Bénédiction du pope, 1916, huile sur toile, coll. BDIC

Mais la révolution aussi prend les armes, et à partir de 1917 la guerre impérialiste devient civile, l’Armée rouge se bâtit. L’image est alors un message pour interpeller une population largement analphabète.

Dans les salles de l’exposition resplendit une révélation : c’est l’art de Dimitri Moor. Une affiche de 1920 prône l’union des citoyens de la Russie – « Oubliez vos calculs personnels » : « Ta main déserteur ! Tu es comme moi, le capitaliste, un destructeur de l’État des ouvriers et paysans ! »

Ce n’est plus de la peinture académique vernie. C’est la figure d’un capitaliste dessiné par la formule efficace d’une bedaine en avant, lourde chaîne au cou, cigare fumant, grasse main baguée, le tout couronné d’un bienheureux haut-de-forme.

Anonyme, « Le Petit Chaperon rouge de Russie », dessin paru dans Pougatch, mai 1917, coll. BDIC.

Très savoureuse aussi, la narration qui se libère. Il y a cette petite histoire qui conte le destin d’une patrie sans tsar, la paix de Brest-Litovsk, la dislocation de l’Armée rouge. Elle se nomme « Le Petit chaperon rouge de Russie » :

Le petit chaperon rouge (Lénine) dit au loup : – Pourquoi as-tu de si grandes pattes ?

Le loup – c’est pour mieux t’embrasser, pendant qu’on fraternise…

Le petit chaperon rouge – Et pourquoi as-tu de si grands yeux ?

Le loup – pour tout espionner, pendant qu’on…

Le petit chaperon rouge – Et pourquoi as-tu de si grandes dents ?

Le loup – c’est pour te manger.

Dans le panier  entre les personnages, une serviette sur laquelle est inscrit : « la paix séparée »

La révolution à l’échelle de l’Empire est également artistique. Quelques tableaux révèlent la modernité picturale de l’art yiddish dynamisé par le mouvement Kultur Lige. Comme les formes angulaires et matérielles en composition rouge et brune, dentelle blanche sur table noire, par Issachar Ber Ryback.

Issachar Ber Ryback, Composition, 1916–1917, huile sur papier © Galerie Le Minotaure, Paris

L’image révolutionnaire se décline enfin avec éclat quand il s’agit de faire briller un mythe. La révolution d’Octobre devenue célébration, d’elle émane tout un imaginaire qui se souvient et se projette. C’est une histoire qui ressemble à un topos, qui oppose le bien et le mal, les Rouges et les Blancs, le prolétariat et le capitalisme.

Sur une affiche en 1919, Dimitri Moor déroule le tribunal du peuple. Trottant en ribambelle, pattes accrochées et croche-pieds, se suivent les ouvriers paysans, les socialistes, les conciliateurs et les traîtres, les bourgeois et les lèches-bottes, « Saint Grichka Raspoutine avec ses femelles », les tsaristes bourreaux du peuple, chargés de lingots, croqués en industriels gras et avinés – il y a même un poignard ensanglanté.

El Lissitzky, « Battez les blancs avec le coin rouge », 1920, affiche lithographique, coll. BDIC

Et puis il y a l’oeuvre de El Lissitzky, une affiche au titre aussi génial que l’image : « Battez les blancs avec le coin rouge ». De la typographie à la construction – le blanc piqué au cœur et les éclats rouges en lévitation, dans le noir, sur le blanc – la composition est une hyper-architecture, une ultra-formule !

Témoignages directs

Les témoignages graphiques côtoient les récits et les objets directs, comme cet uniforme de soldat du corps expéditionnaire russe en France, issu d’une collection privée. Il est là debout, écorché, les bottes usées, la coiffe balafrée, incarné !

Il habillait un soldat débarqué en France en 1916, et probablement comme ses compatriotes déchiré contre sa brigade jumelle. Au printemps 1917 en effet, des tensions divisent les unités armées puis éclatent en mutinerie qui voit la défaite des révolutionnaires.

« Une manifestation à l’occasion du mois de mai 1917 », camp de La Courtine, 1917, photographie, retirage (1960–1970), coll. BDIC.

Autour de ces soldats russes en France, il est un ours. Son nom sur la photo : « Michka aime le sucre ». On l’appelait aussi « ziemliak » (le compatriote), il était leur mascotte et posait pour les cartes postales de l’époque…

Non loin de ce témoignage étonnant, sont les photographies de Nino Djordjadze. Cette infirmière de la Croix-Rouge ressemble à une figure légendaire à dos de dromadaire. Elle prend des clichés sur le front haletant de 1917. Des témoignages qui viennent d’être redécouverts !

Ils ont la vivacité du reportage officieux au milieu des soldats et des populations de l’Anatolie ottomane occupée par les Russes en 1917. Nino saisit l’émoi et le fourmillement après les nouvelles de la révolution venue de Petrograd, qui a sur les peuples fébriles en quête d’indépendance un effet d’enthousiasme qui dépasse l’excitation du rêve. Soudain, tout devient possible et la fièvre dépasse les frontières russes, fait vibrer les nations !

Les Français en Russie comme les Russes en France prennent aussi parti. L’opinion, la presse, les soldats se passionnent pour « la grande lueur à l’Est ». Envoyé par le gouvernement, Eugène Petit est parmi les premiers témoins oculaires de gauche critiques du bolchevisme. Pierre Pascal lui, sert la révolution d’Octobre.

Protestation des Russes habitant Paris et la France, affiche, 6 décembre 1917, coll. BDIC.

Alors sous nos yeux se ravivent par bribes les impressions d’Eugène Petit : « pas dormi de la nuit », « vus les drapeaux ». Et derrière, la voix de Pierre Pascal en entretien avec George Nivat : il dit l’enthousiasme, le grondement de la rue, l’accueil en joie du bolchevisme.

Il y a encore des photographies de lui en uniforme russe, lui en uniforme de lieutenant français, et une lettre à son père, courrier du 10 novembre 1917. Effet de réel d’une date à l’année historique…

Effet du réel, cette exposition se visite comme une intrusion dans un passage du passé révolutionnaire, qui soudain ose transpercer un Hôtel royal !

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