Article proposé par Exponaute

Chrétiens d’Orient à l’Institut du Monde Arabe : histoire figée, work in progress

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Publié le , mis à jour le
Une iconographie inscrite et une identité à écrire. C’est ainsi que l’on perçoit l’histoire des Chrétiens du monde oriental en sortant de l’IMA, les yeux encore emplis de symboles, de lettres enlacées sur du métal et des manuscrits, du verre et des étoffes… Extraits d’une exposition, trésors inédits et photographies contemporaines.
Fresque représentant la guérison du paralytique Doura-Europos, Syrie, 232 Fresque © Yale University Art Gallery
Fresque représentant la guérison du paralytique Doura-Europos, Syrie, 232 Fresque © Yale University Art Gallery

Secrètes images, premières splendeurs

Au premier jour du premier siècle, la naissance du christianisme : l’ancienneté des communautés chrétiennes remonte au Christ lui-même. C’est à Antioche, en Syrie romaine, que le nom « chrétiens »  fut donné pour la première fois aux disciples du Christ dans l’Empire romain.

Les persécutions à leur encontre mènent ces communautés à nicher leur culte dans l’intimité des maisons particulières. On nomme ces dernières domus ecclesiae, « maisons de l’assemblée », et elles recèlent de trésors de symboles. À l’IMA nous pouvons voir ainsi se décliner des thèmes iconographiques discrets élaborés par les Chrétiens pour se reconnaître en temps de trouble : l’agneau, le poisson, le paon, la vigne et le raisin… une faune et une flore de symboles à décoder.

Ainsi on est impressionné de voir transférée là devant nos yeux une fresque ornant la plus ancienne chapelle privée connue, située à Doura Europos, les fragments de la première représentation connue du cycle complet de la vie du Christ… Comme la scène de la guérison du paralytique, qui conserve sa polychromie comme on garde un miracle.

Puis vient le temps de la reconnaissance. Quand au IVe siècle, l’empereur Constantin ne favorise plus que le christianisme au sein de son Empire, le territoire se couvre d’églises. Il faut les orner. Toutes les techniques sont soudain dévolues au service d’un monde d’images : la mosaïque, la fresque, la sculpture, l’ivoire, les enluminures… On célèbre en couleurs !

Nous remarquons une éclatante tenture au Jonas égyptienne. En lin, laine et tapisserie, elle figure Jonas dans la gueule du monstre. Mais aussi une mosaïque prêtée exceptionnellement par la Jordanie : des chèvres postées autour d’un palmier-dattier, qui proviennent du sol d’une église. Autour, des inscriptions peuvent enfin signifier clairement « donner le repos et le salut ».

Portrait anonyme d’un moine, Baouit, Egypte, VIe-VIIe siècle, Bois peint © Musée des Jacobins
Portrait anonyme d’un moine, Baouit, Egypte, VIe-VIIe siècle, Bois peint © Musée des Jacobins

Témoins et reliques

Les pèlerins, les prêtres et les moines font vivre ces lieux de mémoire et le culte des saints. Nous parviennent d’Egypte l’impressionnante tunique du prêtre Khôlti et les portraits si réalistes des habitants du monastère de Baouit. Une série qui n’a perdu aucune expression de vie !

Après la conquête arabe, à partir du VIIe siècle, les populations chrétiennes continuent de se développer, les églises de s’orner et se remplir d’objets. Comme ces deux Flabellums gravés en leur centre des figures de la Vierge et l’Enfant. Ces grands éventails liturgiques sont utilisés pour chasser les mouches et faire de l’air. La lumière tamisée des salles luit encore sur leur argent…

Flabellum syriaque, Deir Souriani, Egypte, XIIe siècle, Bronze martelé et ciselé © Musée royal de Mariemont – Photo M. Lechien
Flabellum syriaque, Deir Souriani, Egypte, XIIe siècle, Bronze martelé et ciselé © Musée royal de Mariemont – Photo M. Lechien

Les images et les chants enlacés

Quand la langue arabe se propage, le christianisme en fait l’usage. Dans l’espace clos consacré aux langues et aux chants liturgiques, nous pouvons suivre et écouter les hymnes, en images flamboyant sur les manuscrits et en mélodies. Ces poèmes chantés sont le cœur de la littérature orientale. Nous les découvrons en copte, en grec, en syriaque et en arabe, car leur traduction atteste de la conquête musulmane. A partir du Xe siècle, l’écriture se fait directement en arabe…

Livre de prière syriaque-arabe (Qondaq)Syrie, XVIIe siècle Manuscrit © Collection Antoine Maamari, Beyrouth
Livre de prière syriaque-arabe (Qondaq)Syrie, XVIIe siècle Manuscrit © Collection Antoine Maamari, Beyrouth

Le frottement des continents

A partir du XVe siècle, les Chrétiens profitent de l’unification de la Méditerranée sous le conquérant pouvoir ottoman : les pèlerinages et les échanges commerciaux s’organisent vers des ports européens et s’intensifient. Parallèlement, l’empire ottoman développe des alliances diplomatiques et réglemente ses rapports avec les puissances européennes et les communautés chrétiennes. En atteste la lettre de Soliman le Magnifique à François Ier, relative à la protection « par lui accordée aux Chrétiens » dans ses Etats, en septembre 1528. Le rouleau se déploie magnifiquement, lisse et resplendissant comme ses lettres en arabesques.

Au XVIe siècle, l’Occident se frotte à ces lignes orientales : c’est le développement de l’imprimerie en langue arabe ! Les Chrétiens d’Orient enseignent l’arabe en Occident, et en 1590 est imprimé le premier évangile en cette langue : l’Evangelium arabium. Les Français et les Italiens restituent typographiquement les Ecritures aux moyens de cuivres, caractères d’imprimerie, poinçons… que nos yeux parcourent en lignes.

Poinçons d’arabe des Quatre Évangiles gravés par Robert Granjon pour l’imprimerie des Médicis, ayant servi à l’impression de l’Evangelium sanctum, Italie, 1590-1591, Acier © Imprimerie Nationale, Paris - Daniel Pype
Poinçons d’arabe des Quatre Évangiles gravés par Robert Granjon pour l’imprimerie des Médicis, ayant servi à l’impression de l’Evangelium sanctum, Italie, 1590–1591, Acier © Imprimerie Nationale, Paris – Daniel Pype

Exil, mémoire, work in progress

Au cours du XXe siècle, les communautés chrétiennes de l’empire ottoman connaissent « espoir, difficultés, renoncements, exil et parfois effondrement sanglant », et cela encore après la chute de l’empire, quand l’élan précède l’essoufflement des Etats-nations, mais aussi le renouveau des communautés intellectuelles.

La carte du Moyen Orient est aujourd’hui marquée par le dessin des flux migratoires. L’exil est une partie de l’identité des Chrétiens d’Orient, et parmi eux, des artistes expriment et transmettent la mémoire de leurs familles. Ils projettent ainsi pour nos yeux leurs regards singuliers sur une histoire collective. Il y a les photographiques, les dessins, les vidéos.. mais aussi la bande dessinée.

Nous pouvons ainsi parcourir les planches de Coquelicots d’Irak, par Brigitte Findakly et Lewis Trondheim. Cet ouvrage réalisé en 2016 narre en courts épisodes les souvenirs d’une enfance passée en Irak dans les années 1960, le quotidien heureux d’une famille chrétienne affecté sous la dictature de Saddam Hussein, puis une nouvelle vie en France. Et tout ce que cela incombe : déracinement, quête d’identité, mutations administratives… et personnelles.

Toute aussi intime, la série A Blessed Marriage de Roger Anis. Elle superpose les mots échangés par un homme et une femme avant leur mariage et les clichés de la cérémonie, la vie contemporaine et la tradition. Elle révèle ainsi les peurs et les espoirs d’un jeune couple en Egypte, où se fréquenter sans intimité est une condition, et se marier un défi.

Roger Anis, Blessed Marriage, Egypte, Le Caire, 2015, Photographie © Roger Anis
Roger Anis, Blessed Marriage, Egypte, Le Caire, 2015, Photographie © Roger Anis

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