Article proposé par Exponaute
« Il faut se tirer d’ici, les amis. Y’a plus rien à peindre, dans cette ville, pas un visage, rien ! » Vincent Cassel, cheveux en bataille et col élimé, fulmine à la able d’un troquer parisien et exhorte ses amis artistes à le suivre dans son voyage aux effluves d’impossible : la Polynésie, l’océan Pacifique, une rencontre avec une nature aux couleurs éblouissantes et aux parfums entêtants. Et selon les propres mots de Paul Gauguin, « une humanité encore en enfance ».
Des regards gênés s’échangent. « Alors, qui en est ? » lance Gauguin/Cassel, remonté comme un coucou. Le mutisme sera sa seule réponse, le même mutisme que lui imposeront son épouse danoise Mette Sophie Gad et ses nombreux enfants.
C’est là la première épreuve à laquelle le réalisateur Édouard Deluc confronte son personnage : l’incompréhension, l’incrédulité, certains susurrent même une étincelle de folie dans les yeux du peintre voyageur ; qui n’a pas su se fixer à Pont-Aven ni à Arles. « Tu es un sauvage Gauguin, comme nous tous ! » s’écrie Émile Bernard, au son d’un violon joyeux (doit-on y voir un clin d’œil au Douanier Rousseau ?)
« Sauf que toi, tu as décidé de t’en souvenir. » Dont acte. Sauvage, il ira se confronter à une nature sauvage. L’ellipse narrative ne nous révèle rien du voyage solitaire de Paul Gauguin en direction de Tahiti. Nous le retrouvons simplement, torse nu dans une cahute miséreuse, à peindre tout ce que croise son regard, peinant à payer les sacs de riz qui constituent l’essentiel de son alimentation.
La première partie du film du long-métrage d’Édouard Deluc se déroule donc à la manière d’un classique biopic, déroulant avec quelques éléments bien sûr romancés le cheminement d’un artiste qui peine à se faire reconnaître à sa juste valeur. Il peint, frénétiquement, sur tous les supports qui lui tombent sous la main, sans le sou pour payer des toiles dignes de ce nom.
Sécheresse des moyens financiers n’assèche pas pour autant l’inspiration. Aux senteurs exotiques, Gauguin revit, oublie sa syphilis, rajeunit dans les bras de la jeune, très jeune Tehura (l’actrice est âgée de 17 ans, le personnage historique, Tehamana, n’avait que 13 ans…) Alors les premiers mois sont idylliques.
Au contact des tahitiens, voyageant à dos de cheval, il chevauche en effet des paysages purs qu’il fixe sur des toiles constellées de couleurs brutes, d’yeux en amandes et de chevaux bleus profonds. Un enthousiasme palpable dans le film, qui se retrouve pourtant refroidi par les ventes inexistantes de Paul Gauguin. Tout ce qu’il parvient à vendre aux français de passage sur le marché de Papeete, c’est un totem en bois représentant un Tiki, copié de l’art traditionnel tahitien.
Jotépha, le polynésien que Gauguin forme à la sculpture, ne tarde pas à percevoir l’intérêt des colons français pour l’art des îles du Pacifique ; aussi parvient-il à en vivre grassement, tandis que Gauguin/Cassel est condamné à rentrer dans sa petite maison de bois, ses toiles invendues sous le bras. À son retour en France, même chez l’influent marchand Durand-Ruel, elles recevront un accueil des plus mitigés.
Alors, « Gauguin, voyage de Tahiti », une œuvre à la gloire du peintre postimpressionniste ? Justement, non. Loin de l’artiste inspiré et auréolé de la force de son art avant-gardiste, le réalisateur dépeint a contrario un pauvre hère que l’on se surprend, parfois, à détester. Gauguin égoïste, Gauguin obstiné, Gauguin individualiste, Gauguin sanguin.
Le peintre, obsédé par sa muse Téhura, refuse de voir le malaise de cette dernière et, quand il constate son éloignement progressif au profit d’un jeune polynésien, Gauguin n’hésite pas à enfermer la jeune femme dans sa maison le temps qu’il aille travailler sur le port pour gagner quelque argent. L’artiste est-il vraiment amoureux de la belle tahitienne, ou ne l’utilise-t-il que comme un moyen de nourrir son art, au détriment du bonheur et de la santé de cette dernière ?
Au bout du compte, « Gauguin, voyage de Tahiti » est un paradis aux relents d’enfer pour le peintre, un artiste d’ailleurs que l’on peine à discerner derrière les traits si charismatiques et si caractéristiques de Vincent Cassel. Demeure un biopic qui a l’heur de ne pas glisser dans le piège facile de l’hagiographie, qui a le malheur en revanche de taire quelques polémiques, mais demeure intéressant malgré des faiblesses dans l’usage de ficèles scénaristiques convenues.
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