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“De Picasso à Séraphine”, le LaM jusqu’au bout de ses pétales…

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Publié le , mis à jour le
À Villeneuve d’Ascq, un vaste paysage végétal accueille les visiteurs du LaM. Il est habité par des oiseaux et des sculptures modernes y sont plantées, comme une Femme aux bras écartés qui nous regarde arriver. Solide comme du béton et haute comme cinq mètres de haut. Son père est Picasso. C’est le nom de ce dernier qui ouvre le parcours de l’exposition « Wilhelm Uhde et les Primitifs modernes ». Elle présente une collection sensible où alternent formes grises angulaires et « feux d’artifice charnus ».
Auguste Herbin, Portrait de Kurt/Erich Muhsam, 1907 © Courtesy Galerie Lahumière © Adagp, Paris, 2017
Auguste Herbin, Portrait de Kurt/Erich Muhsam, 1907 © Courtesy Galerie Lahumière © Adagp, Paris, 2017

Premières affinités

Au début des années 1900 à Paris, on croise partout Wilhelm Uhde. Après avoir achevé des études de droit en Allemagne, il s’installe à la capitale française, y fréquente les cafés, les galeries, et peu à peu commerce ses oeuvre peintes et dessinées… Il devient collectionneur, marchand, commissaire d’exposition et écrivain d’art. L’exposition du LaM nous propose de découvrir les œuvres et les artistes qui lui étaient chers.

Dès 1904, Uhde s’intéresse aux impressionnistes, aux fauves, aux cubistes comme Picasso, Braque ou Herbin. De ce dernier, nous croisons les couleurs audacieuses sur un visage fauve : cheveux noirs, regard profond, carnation jaune et barbe rousse. Le rose et le violet ruissellent en rideau sur le mur. Plus loin, il y a Braque et ses cubes imbriqués en forme de paysage aux tons sourds. On comprend dès lors qu’en Wilhelm Uhde se loge un goût mosaïque et des nuanciers infinis.

Henri Rousseau, La Promenade dans la forêt, vers 1886 © 2017, Kunsthaus Zürich
Henri Rousseau, La Promenade dans la forêt, vers 1886 © 2017, Kunsthaus Zürich

En 1907, il rencontre son premier « maître Primitif moderne » : Henri Rousseau. Le collectionneur apprécie ce style à part, qui « intensifie » la réalité. Alors que les contemporains parlent d’insuffisance technique, Uhde le comprend et le défend. Il organise ainsi la première exposition personnelle du Douanier Rousseau en 1908, mais oublie d’indiquer l’adresse de sa galerie sur le carton d’invitation ! C’est un échec. Uhde tentera de réparer toute sa vie cette erreur en œuvrant pour faire connaître l’art de Rousseau.

Il y a dans la salle qui lui est consacrée L’enfant à la poupée, raide et irréelle, immense et rouge dans un champ vert, sa figure atteignant le ciel. Sur la même cimaise, La Promenade dans la forêt : un espace étrange et menaçant, des arbres qui dominent une femme minuscule et…touchent le ciel. Deux énormités visuelles à deux échelles inversées.

Et puis… il y a l’invention d’un mythe : Séraphine Louis. En 1912, Uhde aperçoit chez ses voisins, à Senlis, des pommes peintes « faites de beauté et devenues réalité ». C’est l’oeuvre de sa femme de ménage, lui apprend-on ! Il faut voir en effet l’éclat de ces fruits peints au ripolin – une laque d’usage domestique pour la vaisselle – sur des panneaux de bois.

Des oranges auréolées comme des ampoules sur fond noir, des grenades sur un bleu de ciel si pur qu’il semble inventé pour les faire rayonner. Tout cela est très matériel, zébré comme par advertance de délicieuses craquelures… c’est l’écorce gonflée, « c’est la substance même des objets ».

Séraphine Louis, Les Fruits, vers 1928 © Musée de Grenobme
Séraphine Louis, Les Fruits, vers 1928 © Musée de Grenobme

Après l’émerveillement, la surprise des corps impressionnants. Les toiles qui sont exposées dans la salle suivante sont l’oeuvre de Helmut Kolle, un jeune peintre que Uhde rencontre à Francfort. Il devient son mécène et amant, et à partir de 1924 fait connaître sa peinture à Paris. Il s’agit de physiques masculins aux musculatures sculpturales. Matelots, jockeys, boxeurs puissants aux allures dégingandées et parfois mélancoliques.

Assemblages sensibles

Les peintures ensuite sont minérales et végétales. Elles sont signées André Bauchant, Camille Bombois, Louis Vivin : « les peintres du Coeur-Sacré » que Wilhelm Uhde découvre à Montmartre, au pied du Sacré-Coeur donc. Il réunit leurs œuvres et les expose en 1928. Le commissaire aime leur manière de représenter le monde au-delà des apparences, d’user d’anomalies pour traduire les détails et les perspectives.

On retrouve là l’inquiétante étrangeté et le malaise familier de Rousseau. Le Paris de Louis Vivin est fait de lignes naïves, de carreaux de pierre et d’herbe plane, de personnages dispersés de manière numérique et quand nous faisons face à son Sacré-Coeur, nous sommes en haut, en bas, ou peut-être même en suspension dans l’air…

En 1932 enfin, Uhde rassemble ses cinq « Primitifs » modernes en une exposition qui porte le nom de ce regroupement subjectif. Il y a là Bauchant, Bombois, Séraphine, Vivin et Rousseau. Le mot qui les nomme signifie un retour aux sources et un renouveau par la simplification des formes. Les sujets traditionnels passent par le prisme de cette appréhension originelle.

Camille Bombois, Grosse fermière sur son échelle, 1935 © Jean-Alex Brunelle © Adagp, Paris, 2017
Camille Bombois, Grosse fermière sur son échelle, 1935 © Jean-Alex Brunelle © Adagp, Paris, 2017

Originelle et sensible ! Car Uhde, en historien de l’art sentimental, partage avec eux l’inspiration savoureuse d’un amoureux ! Il goûte aussi leurs figurations du nu. Comme celles de Camille Bombois qui représente mille parties de sa femme Eugénie dans des cadrages serrés. Intense carnation et renflements charnels, fragments épris et coquins ! Un enfant fasciné clignerait d’un même œil voyeur.

Cette intrusion comme dans une grange ou dans la chambre de deux amants prépare l’éclat d’un autre émoi…

La Peinture révélée

Quand je ferme les yeux, des floraisons phosphorescentes apparaissent et se fanent et renaissent comme des feux d’artifices charnus.

La poésie de Desnos pourrait illustrer la peinture de Séraphine… nous croyons voir se correspondre les expressions électives de deux âmes sensitives.

Il y a dans cette salle un petit tableau vivant. Ce sont des têtes penchées pleines d’épis. On dirait qu’au bout de leurs pétales, le violet saigne et se dilue. Restent les grains jaunes et blancs comme des petites boules d’or qui vibrent encore.

Séraphine Louis, Bouquet de fleurs, 1930-1931 © P. Bernard
Séraphine Louis, Bouquet de fleurs, 1930–1931 © P. Bernard

Nous comprenons alors pourquoi l’exposition décrit Séraphine comme la découverte la plus authentique de Wilhelm Uhde. C’est ainsi que nous avons ressenti ses fleurs et ses fruits disposés entre les formes et les titres abstraits.

C’est aussi la force de cette exposition : réunir des œuvres choisies au moyen d’un procédé sensible et non méthodique. Car le collectionneur s’attache à des artistes par élan affectif. Son écriture à leur propos est plus sentimentale qu’analytique, il n’approuve pas le réel mais prône l’invisible.

Peintres cubistes ou abstrait, Primitifs modernes… cherchent tous à donner un aperçu de la réalité telle qu’ils la ressentent. Le spectateur peut rencontrer ces pièces et s’émouvoir devant une sélection qui n’est pas raisonnée autrement que par le goût. C’est là tout l’attrait intime d’une collection.

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