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Pop ! La collection du Whitney Museum s’éclate au musée Maillol !

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Publié le , mis à jour le
L’art de Maillol, ce sont des formes rondes et pleines. Une douce harmonie des courbes et des volumes qui s’imposent et apaisent. Les œuvres modernes du Whitney Museum de l’art américain sont sorties de leurs cloisons pour dynamiter l’espace du musée parisien : ici comme à New York, elles s’éclatent et explosent hors des cadres.
Roy Lichtenstein, Explosion, 1967, lithographie © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2017
Roy Lichtenstein, Explosion, 1967, lithographie © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2017

« That matter »

En 1931, la mécène américaine Gertrude Vanderbilt Whitney établit un musée à Greenwich Village. Après plusieurs déménagements, l’établissement se pose finalement au 99, Gansevoort Street en mai 2015. Il a les lignes que lui a données l’architecte Renzo Piano, et l’esprit vivement engagé que lui a légué sa fondatrice.

Le musée abrite 22 000 œuvres de plus de 3 000 artistes américains des XXe et XXIe siècles. Parmi eux, des icônes qui dans les années 1914–1927 étaient ignorées voire méprisées par les grandes institutions. Aujourd’hui, elles comptent. D’où le sous-titre de l’exposition qui présente une soixantaine d’oeuvres du Pop Art américain : « Icons that matter ».

Explosion des formes

BOOM ! L’explosion réelle détone sur les photographies de Harold Edgerton. Son imagerie scientifique ultra-précise donne à voir un projectile qui traverse à l’horizontale trois objets côte à côte. Total impact. La chair d’une banane éclate devant nous, comme devant le lecteur de la presse populaire qui relayait dans les années 1960 ces documents de science… La culture américaine serait-elle friande de toute démonstration de violence ?

Elle aime en tout cas quand les formes dépassent leur enveloppe. Ainsi, ce pied géant qui surgit dans l’espace du musée comme une enseigne commerciale rétroéclairée. Un corps-enseigne en somme, que l’on s’attendrait presque à voir clignoter. Tom Wesselman fait exploser le format en utilisant du plastique thermoformé. Le corps kitsch et géant s’impose à nous qui passons dans la salle du musée comme un promeneur dans les rues de New York bardées de lettres et d’images de néon.

Tom Wesselmann, Seascape Number 15, 1967, acrylique thermoformé © Adagp, Paris, 2017
Tom Wesselmann, Seascape Number 15, 1967, acrylique thermoformé © Adagp, Paris, 2017

Ce corps est aussi le sujet d’une explosion libératrice, plastique et sociale. Pour preuve, deux œuvres dans ce parcours s’affrontent en écho : Triple Daddy Blue de May Stevens et Istrian River Lady de Christina Ramber. La première figure le père de l’artiste : chauve, gras, il ressemble au bulldog sur ses genoux, dont la peau semble se liquéfier. Langue pendante, sourire pépère et yeux vicieux en blanc sur fond bleu : triple dégoût. Cette image est devenue un symbole de l’Amérique impérialiste et conservatrice, et la dénonciation d’une domination mâle abusive.

Face à l’Istrian River Lady, on pense à une autre revendication : « Jouissons sans entraves ! » On voit l’oeuvre de loin, au fond à droite quand on détourne le regard de la première. Elle apparaît comme une icône phosphorescente et serrée, engoncée dans son bustier Maidenform. Comme le Daddy nous répugnait, en miroir la Lady nous donne un sentiment d’oppression. Elle n’est d’ailleurs qu’un torse. Et que serait-elle d’autre ? À l’heure de la révolution sexuelle, elle signifie la répression du corps sous le joug de la culture, tant puritaine que populaire. N’est-ce pas cette dernière qui le soumet, le fantasme et le dévore sous des allures de bon goût ?

Christina Ramberg, Istrian River Lady © Estate of Christina Ramberg, courtesy Corbett vs Dempsey
Christina Ramberg, Istrian River Lady, 1974, acrylique sur panneau aggloméré © Estate of Christina Ramberg, courtesy Corbett vs Dempsey

Érosion des sens

Ces corps dégoulinants ou réprimés deviennent des symboles par le dépassement ou le resserrement des formes. Les artistes du Pop Art partagent cette manière de faire éclater les cadres connus et que l’on ne regarde plus, pour signifier ou ironiser l’insignifiant. Les images de la consommation – publicités, magazines, télévision… – saturent alors la culture populaire américaine, et sont pour les artistes autant d’inspirations en libre service pour reformuler l’American dream.

Roy Lichtenstein révèle les images de cette entreprise culturelle à ses contemporains en zoomant et en filtrant les épisodes des comic books. S’imposent alors à la vue du spectateur des impacts visuels francs, et l’attendu devient inattendu. Les bluettes romantiques, où l’intrigue et les personnages du rêve américain sont tels qu’on les imagine, font des clichés du tonnerre ! Ainsi la Girl in window  sort de sa fenêtre monumentale et investit notre espace. Elle explose littéralement du cadre, et nous sommes étonnés de lui faire si directement face.

Roy Lichtenstein, Girl in Window (Study for World’s Fair Mural), 1963, huile et acrylique sur toile © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2017
Roy Lichtenstein, Girl in Window (Study for World’s Fair Mural), 1963, huile et acrylique sur toile © Estate of Roy Lichtenstein New York / Adagp, Paris, 2017

Robert Rauschenbeg procède plutôt en fragmentant et en recomposant les images du monde contemporain. On voit sur l’une de ses lithographies, pêle-mêle, un couple sur le quai d’une gare, le diagramme d’un cœur humain, une bombe aérosol contre les puces, et le regard d’un jeune homme afro-américain. Pour l’expliquer, il suffit de citer l’artiste :  « j’étais bombardé par la télévision et les magazines […] par le rebut et par le trop plein du monde. » Il découpe des images dans le magazine Life pour en faire un collage instable de clichés, de morceaux aux bords déchirés, avec des bandes adhésives bien visibles. Brute et brutale confrontation à la saturation ambiante.

Robert Rauschenberg, Landmark, 1968, lithographie © Adagp, Paris, 2017 © 2008 - 2015 ULAE
Robert Rauschenberg, Landmark, 1968, lithographie © Adagp, Paris, 2017 © 2008 – 2015 ULAE

Le rêve américain selon Robert Indiana, est « optimiste, généreux »… volontiers naïf. Et sur cette description, il livre un amour aluminium, des lettres agglomérées comme l’illusion d’un bonheur superficiel car il est consommé. Il est en tout cas « immédiat », une vertu qui s’érode quand elle veut dire « éphémère ».

Robert Indiana, LOVE, 1968, aluminium © 2017 Morgan Art Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York / Adagp, Paris, 2017
Robert Indiana, LOVE, 1968, aluminium © 2017 Morgan Art Foundation / Artists Rights Society (ARS), New York / Adagp, Paris, 2017

Cette illusion sans substance offerte sur un plateau, Alex Katz l’aborde avec une originalité inédite. Son Alex est un homme en deux dimensions qui ressemble à une enseigne postée à l’entrée d’un bar. Tranquille, il fume son cigare. Costume bleu et marron, pompes en cuir, couleurs fades, sourire sournois. Un homme sans relief.

Alex Katz, Alex, 1968, huile sur aluminium © Alex Katz / Adagp, Paris, 2017
Alex Katz, Alex, 1968, huile sur aluminium © Alex Katz / Adagp, Paris, 2017

Au musée Maillol, vous verrez du Warhol mais pas seulement ! Car à son époque, bien d’autres artistes américains savaient aussi jouer avec les images pop !

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