Article proposé par Exponaute

Les errances de Raymond Depardon exposées à la Fondation Cartier-Bresson

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« Traverser ». Verbe. Passer à travers, d’un côté à l’autre. Né en 1942, Raymond Depardon traverse le XXe siècle, un boîtier argentique collé à son œil. Il entre ensuite dans le XXIe avec le même regard critique et aigu, travaillant toujours avec la pellicule qui lui est si chère. Aussi voyage-t-il parmi les époques, les tendances, les pays, les bouleversements. La nouvelle exposition temporaire de la Fondation Henri Cartier-Bresson, « Traverser », rend compte de cette existence bien remplie, à rendre compte de certaines réalités du monde, dans des images toujours percutantes.
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Raymond Depardon, Beyrouth, Guerre Civile, 1978 © Raymond Depardon – Magnum Photo

Est-il possible de parler de toute une existence aussi remplie que celle de Raymond Depardon en « seulement » quatre chapitres ? Peut-on rendre hommage aux errances sans fin d’un grand Monsieur de l’image qui a consacré sa vie à la puissance évocatrice de la photographie, du reportage, du témoignage ?

La Fondation Henri Cartier-Bresson, pour sa nouvelle exposition temporaire, s’est lancé ce défi et il faut le reconnaître, s’en sort avec les honneurs. Le parcours, portant le titre éloquent de « Traverser », se propose de revenir sur l’œuvre de Depardon, pas seulement photographiée, mais aussi écrite. Car on le sait peut-être moins, mais le reporter a beaucoup écrit au cours de son existence, tenant des carnets de bord de ses différents reportages et voyages autour du monde.

Viêt Nam, France, Pakistan, États-Unis, Écosse, Rwanda, Liban, Érythrée, Italie, Allemagne… Depardon a roulé sa bosse, été témoin des pires conflits, parlé parfois de la beauté que l’on peut encore trouver sur cette Terre, s’est penché à de nombreuses reprises sur la photographie de rue qu’il affectionne tant… Une diversité stupéfiante pour notre plus grand bonheur.

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Raymond Depardon, Érythrée, 1995 © Raymond Depardon – Magnum Photo

Temps forts et faibles

On croise de nombreux « temps forts » au cours de cette ravissante exposition. Des scènes de guerre dans un Liban déchiré, des prisonniers faméliques et aux yeux caves au Rwanda, des ruines dévastées par la pauvreté en Écosse… Pas forcément besoin d’aller très loin sur notre globe pour rapporter des témoignages bouleversants des grands drames qui jalonnent l’actualité.

Cependant, avec la pratique mais aussi la sagesse, Raymond Depardon s’est peu à peu détourné de cette quête du choc de la photo, de la violence d’une scène, ce fameux temps fort si prisé des spectateurs et des journaux. Alors le reporter s’est tourné peu à peu vers le stricte opposé du moment décisif initié par Henri Cartier-Bresson même si de l’avis de Depardon lui-même, ce fut une entreprise complexe que de parvenir à s’affranchir de cette recherche qui faisait (et fait encore) figure d’école dans la photographie française.

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Raymond Depardon, Paris, métro, 1997 © Raymond Depardon – Magnum Photo

Suspendre et surprendre

Il a cherché le « temps faible », celui où l’image n’est pas remuée par un flou de bougé, un acte de guerre, une posture saisissante, un passage furtif… Au contraire, on prend le temps de respirer, d’admirer et aussi et surtout, d’imaginer. Où va cet homme, cigarette coincée entre les lèvres, tandis qu’il se dirige vers les entrailles du métro parisien ? À quelle vitesse peut bien rouler ce vieux camion roulé, traversant comme un boulet de canon les étendues désertiques de l’Érythrée ? Après la contemplation, il convient de fermer les yeux pour visualiser la suite de l’histoire, celle qui nous conviendra.

Prenons par exemple, la photographie de la chambre des parents à la Ferme du Garet, image saisie en 1984. Que voit-on ? Dans une composition centrée, presque symétrique, on devine la forme massive d’une tête de lit en bois, surmontée de deux cadres en forme de médaillon. Deux clichés dans un cliché, une histoire de silence et des souvenirs qui pourraient presque nous remonter, tant cette image fleure bon « le thym, le propre, la lavande et le verbe d’antan ».

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Raymond Depardon, Le Garet, 1984 © Raymond Depardon – Magnum Photo

Attente

Pourtant, aucune action, mais simplement de la contemplation pleine et douce. Et par la seule atmosphère qu’elle parvient à établir au plus profond du cœur du spectateur, la photo est évidemment réussie. C’est donc cela, l’exposition « Traverser » de la Fondation HCB : un mélange d’émotions vives, de lenteur contemplatrice, le tout porté par des cartels enrichis de textes rédigés par Raymond Depardon au fil de ses pérégrinations… à travers le monde.

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