Article proposé par Exponaute

De Poussin à Bacon, le Massacre des Innocents décortiqué à Chantilly

Par • le
Jusqu’au 7 janvier 2018, le Musée Condé, au sein du Château de Chantilly, propose une exposition pour le moins originale : « Le Massacre des Innocents : Poussin, Picasso, Bacon ». Pour la première fois de son histoire, l’institution de l’Oise fait entrer des œuvres d’art moderne et contemporain en ses murs, ouvrant ainsi un peu plus large le compas de ses possibles en matière d’événements temporaires. Et en guise de premier jet, cette exposition qui se propose, à partir du chef-d’œuvre de Nicolas Poussin, d’explorer l’influence de cet épisode du Nouveau Testament sur les artistes d’hier et d’aujourd’hui.
Nicolas_Poussin_-_Le_massacre_des_Innocents_-_Google_Art_Project

Nicolas Poussin, Le massacre des Innocents, huile sur toile © Musée Condé

Autour de la toile, le silence s’est fait. De ces silences qui viennent nous étourdir, dans la seconde juste avant que le malheur ne frappe, implacable, terrible. Nos yeux détaillent, empreint d’une émotion lourde comme une chape de plomb, l’horreur qui est sur le point de se dérouler sous nos yeux. L’artiste Nicolas Poussin (1594–1665) a choisi de ne pas détailler la monstruosité, simplement la seconde qui la précède.

Dans une scène à la tension déchirante, un soldat drapé de rouge, couleur de la violence et du mal, se précipite sur un bébé jeté à terre, en pleurs. Le flanc droit du nourrisson est déjà barré d’une entaille qui saigne abondamment. La mère du poupon, les traits révulsés par l’horreur, se jette sur le soldat et tente d’un geste étiré par le désespoir, d’arrêter l’épée qui pourtant, inflexible, s’abattra sur la petite victime.

Nous avons sous les yeux l’huile sur toile Le Massacre des Innocents, œuvre de Poussin qui renvoie évidemment à l’épisode biblique du même nom. Le récit est fait par Saint Matthieu dans son évangile : le roi Hérode, craignant la concurrence du roi des Juifs dont la naissance lui a été annoncée par les Mages, ordonna la mise à mort de tous les enfants mâles âgés de moins de deux ans.

cogniet-massacre-innocents

Léon Cogniet, Le massacre des Innocents, 1824 © Musée des beaux-arts de Rennes

Inspiration sans fin

Ce passage particulièrement sombre des textes sacrés a inspiré de nombreux peintres au cours des époques (Giotto, Guido Reni, Rubens…) mais l’exposition du Château de Chantilly tourne autour d’une toile bien précise faisant partie du fonds permanent du Musée Condé : Le Massacre des Innocents, de Nicolas Poussin. L’huile sur toile, récemment restaurée, est le cœur battant de l’accrochage tandis que tout autour, s’étirent les ramifications d’un parcours temporaire très intéressant. Le cheminement muséal, aussi bien chronologique que thématique, s’attache à retracer la chronologie de la célèbre toile.

Dans quel contexte a-t-elle été exécutée ? Quelle a été sa réception après sa réalisation par Poussin ? Comme nous l’avons souligné plus tôt dans cet article, le passage biblique du Massacre des Innocents est un sujet très exploité par l’Histoire de l’art et il est fort probable que Poussin connaissait l’œuvre de Guido Reni portant le même titre. L’illustre français a-t-il cherché à rivaliser avec son contemporain italien ? Toujours est-il que le peintre a su se démarquer des autres artistes de son temps (Guido Reni donc, mais également Pietro Testa ou Cornelis Schut) en éloignant de la composition toute référence religieuse, pour ancrer son sujet dans l’intemporalité.

SCA0123007

Pablo Picasso, Le Charnier, 1944–1945 © MoMa

Là où d’autres artistes font référence à la foi chrétienne en ajoutant des angelots dans le ciel ou des allégories de valeurs morales, Poussin lui, représente uniquement une situation d’une violence extrême. Un nombre très restreint de personnages est visible sur la toile et le ciel est vide de toute manifestation divine, renvoyant les Hommes à leur seul malheur.

Tout autour de Nicolas Poussin, viennent ensuite se greffer les artistes des XIXe, XXe et XXIe siècles. Léon Cogniet qui livre une version du Massacre des Innocents tout simplement bouleversante, où le drame se joue au second plan tandis qu’au premier, une mère au regard révulsé par la terreur tient serré contre sa poitrine son nouveau-né. La main de la femme est plaquée sur la bouche du nourrisson, pour que les soldats ne puissent entendre ses cris. Quelques pas plus loin, et nous entrons dans la modernité, Pablo Picasso et Francis Bacon attirant tous les regards.

L’un avec un Charnier dont l’exécution est très proche de son célèbre Guernica. L’autre avec une tête (Head II, 1949) difficilement perceptible, renversée dans la douleur, monstrueuse et noire comme la nuit.

head

Francis Bacon, Head II, 1949 © Ulster Museum, Belfast

Pour l’époque purement contemporaine, nous retiendrons une superbe pierre noire et encre d’Ernest Pignon-Ernest, reprenant directement les trois personnages principaux de la toile de Poussin; à la différence que dans la plus pure tradition antique, l’artiste français a choisi de représenter les protagonistes dans une parfaite nudité.

Voilà donc indéniablement une exposition d’une grande qualité, que l’on prend plaisir à parcourir de part en part. De découvertes en découvertes, de surprise en surprise, de l’ancien Régime à notre époque contemporaine le cheminement muséal vaut le coup d’œil !

Vous aimerez aussi

Carnets d’exposition, hors-série, catalogues, albums, encyclopédies, anthologies, monographies d’artistes, beaux livres...

Visiter la boutique
Visiter la boutique

À lire aussi