Article proposé par Exponaute
Avant de monter l’imposant escalier de pierre qui nous mène aux principales salles d’exposition de la Maison Européenne de la Photographie, le visiteur est accueilli par une photographie de La Liberté guidant le Peuple, inénarrable tableau d’Eugène Delacroix, conservé au musée du Louvre. Le sourire aux lèvres, on se demande bien ce qu’une photo du chef-d’œuvre romantique peut bien faire dans les murs d’une institution comme la MEP.
Puis notre regard est attiré par une anomalie, un je-ne-sais-quoi qui insinue que quelque chose paraît avoir été « ajouté » à la célèbre toile… Puis notre œil, le repère, enfin. Liu Bolin est bel et bien là, sous nos yeux, au beau milieu des naufragés de la méduse.
Vêtu de son éternel costume militaire inspiré des années Mao, il se tient parfaitement droit, les yeux fermés, parmi l’œuvre du XIXe siècle. Les acolytes de l’artiste ont minutieusement peint sur ses vêtements, son visage, son cou et ses mains les parties de la toile de Delacroix cachées par son propre corps. Le trompe-l’œil fonctionne à merveille.
Ainsi sommes-nous avertis sur ce que nous nous apprêtons à voir dans les salles d’expositions temporaires de la Maison Européenne de la Photographie. Parfois, il s’intègre dans le drapeau de l’ex-URSS, repeint d’une vive teinte écarlate tandis que le manche de la faucille, un des symboles du communisme, lui barre le visage, agressivement. Un peu plus loin, Liu Bolin s’est tenu coi face à un rayon de supermarché asiatique, son corps transformé en paquets de viande sous vide et de sachets de soupe aux nouilles déshydratée.
Ça, il critique violemment le régime communiste qui dirige la Chine d’une main de fer depuis la seconde moitié du XXe siècle. Là, il pointe du doigt la société de consommation, voire de surconsommation, où l’on tance de plus en plus les populations à ne plus songer par elles-mêmes mais simplement à dépenser leur argent en objets inutiles ou en aliments de mauvaise qualité.
Mais, peut-on se demander, pourquoi Liu Bolin a-t-il décidé de centrer sa pratique artistique sur une disparition du personnage de l’artiste ? Pourquoi se fondre dans des décors parfois désolés, parfois grotesques, souvent cyniques, mais jamais anodins ?
Tout commence en Chine en 2005, lorsque son atelier fut rasé par les autorités chinoises, qui faisaient place nette en vue des Jeux Olympiques. L’artiste, déboussolé et bouleversé d’avoir perdu tout son travail, a alors eu l’idée de pénétrer dans cet environnement désormais en ruine qui lui était si cher.
Pour la première fois, il peignait son corps en fonction des décombres qui se tenaient derrière lui et posa devant un appareil photo, les yeux fermés. Sans le savoir, il venait de jeter les prémices d’un combat artistique qui l’occuperait toujours, douze ans après ce drame. Liu Bolin pointe du doigt, sa silhouette roide et discrète, les travers de la société chinoise, mais plus généralement de nos sociétés contemporaines, vendues au profit, à la violence, à l’absurde.
Soumission à toute forme d’autorité, crainte de la liberté d’expression (on retiendra son intégration très réussie dans un mur entier recouvert de unes du journal satirique Charlie Hebdo). Mais bien au-delà de la critique des travers de notre époque actuelle, Liu Bolin semble nous mettre en garde : qu’adviendra-t-il de l’humain, de l’individualité, des relations humaines, si nous nous laissons de la sorte grignoter par l’instantanéité, la soumission, le paraître et la consommation à outrance ? À bon entendeur…
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