Article proposé par Exponaute
Le teint déjà diaphane mais un léger sourire éclairant ses lèvres, « l’ami du peuple » Marat gît mort dans son bain. Le 13 juillet 1793, la citoyenne Charlotte Corday pénétrait au domicile du révolutionnaire français et lui ôtait la vie, de plusieurs coups de couteau. La jeune femme ne supportait plus la lente dérive mortifère de la Révolution française et tenait Marat comme un des responsables de ce bain de sang.
Corday fut envoyée, peu de temps plus tard, à l’échafaud tandis que Jean-Paul Marat allait devenir un martyr de la Révolution française ; nouveau rôle entériné par une collaboration étroite de Jacques-Louis David, qui affirmait de plus en plus ses positions politiques dans sa peinture. À partir de la Révolution, il se disait jacobin, siégeait à la Constitution parmi les rangs des Montagnards et il vota même la mort du roi Louis XVI.
Jacques-Louis David connaissait parfaitement Marat, dont il disait dans ses notes personnelles : « Le vrai patriote doit saisir avec avidité tous les moyens d’éclairer ses concitoyens et de présenter sans cesse à leurs yeux ses traits sublimes d’héroïsme et de vertus ». Ému par ce crime aussi sordide qu’inattendu, le peintre accepta évidemment la commande passée d’un tableau en hommage au journaliste assassiné.
En songeant à la composition de son tableau, l’artiste décida de ne pas se limiter à simplement relater un événement de la période troublée au milieu de laquelle il évolue. La mort de Marat ne saurait être une histoire sordide qui, avec le tourbillon du temps, finirait par s’estomper rapidement de la mémoire collective.
La peinture néo-classique allait donc devenir un vecteur pour ériger Marat comme un martyr de ce temps charnière de l’Histoire de France. David, comme il le fera par la suite à de nombreuses reprises lorsqu’il mettra ses pinceaux au service de Napoléon Ier, transcenda la réalité. Si l’huile sur toile compte quelques éléments naturalistes (encrier posé sur la table de travail, courrier rédigé par Corday, couteau abandonné au bas de la baignoire…), l’ensemble de la composition idéalise l’homme tué et dramatise la scène de crime.
La lumière, chaude, nimbe le cadavre de Marat et guide notre regard. Les draps de bain contre lesquels s’appuie le corps sans vie et qui recouvrent la baignoire évoquent les drapés antiques et permettent tout dans le même temps de dissimuler en grande partie l’eau rougie du bain. Le coffre de bois, orné d’une dédicace, a été peint dans une forme rappelant celle des pierres tombales.
Le corps de Marat aux muscles dessinés paraît comme héroïque (David a volontairement dissimulé les stigmates de la maladie de peau dont souffrait l’homme politique, raison à ses nombreux bains). Quant à la position de Marat, elle évoque celle d’un Christ mort, d’une déposition de croix. Le résultat de tous ces choix esthétique est qu’il se dégage du tableau une atmosphère solennelle, l’homme politique disparu devenant presque un sujet de dévotion tandis que la simple actualité s’est totalement effacée.
Certains spécialistes de l’art de Jacques-Louis David n’hésitent d’ailleurs pas à parler d’acte de propagande, tant le personnage principal évoque l’idéal de la Belle Mort. Marat a donc peut-être été assassiné par Charlotte Corday, mais son exemple doit rayonner pour les générations à venir.
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