Article proposé par Exponaute

Les facéties d’Eduardo Arroyo à la Fondation Maeght

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A Saint-Paul de Vence, la Fondation Maeght accueille une exposition rétrospective d’un artiste pionnier de la figuration narrative, le peintre espagnol Eduardo Arroyo. Il dépeint le monde d’hier et d’aujourd’hui avec humour et fantaisie, nous livre une critique mordante de la société à travers une série de fictions picturales captivantes, et un très grand soin porté sur le détail. Visite d’une exposition passionnante.
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La mujer del minero Pérez Martinez llamada Tina es rapada por la policia, 1970 © Adagp, Paris 2017. Photo DR.

« La peinture est en quelque sorte littéraire ; et c’est dans ce sens que je travaille sur des thèmes. Il y a un début, une fin, des personnages, et l’ambiguïté propre aux romans. C’est donc un récit, comme si j’avais écrit une quinzaine de romans… », confie Eduardo Arroyo, figure majeure du mouvement de la figuration narrative et actuellement à l’honneur d’une grande rétrospective proposée par la Fondation Maeght.

L’institution culturelle a en effet choisi de célébrer l’un des plus grands artistes espagnols de sa génération, rassemblant en ses murs un grand nombre d’œuvres peintes, des plus célèbres aux plus récentes, datées pour certaines de quelques années seulement et d’autres sont inédites, réalisées spécialement pour l’exposition. Mais Eduardo Arroyo n’est pas de ceux qu’on enferme dans un style, une catégorie, une technique, et s’il décide de pratiquer la peinture à l’huile, le collage, le dessin et la sculpture, il n’abandonne pas pour autant sa passion pour le roman et l’écriture, car il est aussi écrivain.

Eduardo Arroyo a choisi d’intituler l’exposition « Dans le respect des traditions », non sans une pointe d’ironie, arme dont il se saisit régulièrement dans son œuvre pour se jouer des hommes et des situations. L’exposition que présente la Fondation Maeght est une invitation à une déambulation narrative, à la rencontre de figures clés de l’histoire, de personnages de pouvoir et de héros, qu’Eduardo Arroyo désacralise avec humour et légèreté. Son œuvre interroge la grande Histoire autant que l’histoire de l’art et notre monde actuel ; des questions qui nous occupent tous. Nous côtoyons dans ses tableaux van Gogh, Winston Churchill, James Joyce, Hodler, des écrivains, des boxeurs, autant que la figure du boxeur d’un vieux picador traversant les paysages d’Espagne.

Espagne obsédante

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Ronde de nuit aux gourdins, 1975–1976 © Adagp, Paris 2017. Photo DR.

Né à Madrid en 1937, Eduardo Arroyo est un enfant de la guerre d’Espagne. En 1958 il choisit de s’exiler à Paris contre la dictature franquiste. « Espagne obsédante » est la première séquence de l’exposition, la thématique de l’exil et des assassinats politiques revenant régulièrement dans l’œuvre d’Arroyo. En témoigne le bouleversant tableau intitulé La mujer del minero Pérez Martinez llamada Tina es rapada par la policia, qu’il réalise en 1970, rendant hommage à Constantina Pérez ainsi qu’aux autres femmes mineurs des Asturies.

Constantina Pérez appelée Tina est un symbole de résistance majeur, dont le rôle fut fondamental dans la lutte ouvrière. En 1962, Tina prit la tête d’un mouvement de grève dans les mines, le premier depuis la dictature de Franco. Arrêtée par la police, son crâne fut rasé publiquement par les franquistes et elle fut menacée ; puis mourut à la suite de tortures. Arroyo livre un portrait poignant de cette femme au crâne rasé, visage déconfit, sur lequel coulent des larmes de douleur. Tina porte des boucles d’oreille aux couleurs de l’Espagne.

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El retrato de Dorian Gray, 2014 © Adagp, Paris 2017. Photo Adrian Vazquez.

Les toiles récentes et colorées d’Arroyo mettent en scène des personnages connus de tous, des gens de littérature aux figures artistiques ; l’on y croise le corps de van Gogh étendu sur le billard d’un café d’Auvers-sur-Oise, Sylvie Beach, James Joyce, ou encore le portrait de Dorian Gray, une œuvre où se côtoient tous les ingrédients de la peinture d’Arroyo : le théâtre, la nuit, la menace de la chauve-souris, la toile d’araignée… Quelques pas plus loin, l’un des plus grands chef-d’œuvre d’Eduardo Arroyo se révèle dans toute sa splendeur, livrant sa réinterprétation de la Ronde de Nuit de Rembrandt ; Arroyo ajoute deux panneaux : l’un matérialisant le crépuscule, l’autre, une forme d’espoir, avec le soleil qui se lève sur Madrid.

Chacune des séquences est ponctuée des travaux sur calque d’Arroyo ; intitulés « « Ciseaux et Crayons ». Là aussi, Arroyo réinterprète l’histoire avec pour exemple sa relecture au crayon de l’Adoration de l’agneau mystique, polyptique des frères Van Eyck. Chez Arroyo, l’agneau mystique (source de vie) est remplacé par un essaim de mouches qui envahit l’espace. « La mouche est un animal talisman que j’ai complètement hispanisé, elle fait partie de mes écrits, je l’ai dessinée pour la couverture d’un livre, je l’ai sculptée aussi. Je définis l’Espagne comme « le paradis des mouches », elles sont parfois si nombreuses, cruelles et voraces qu’elles en deviennent inquiétantes. », écrit l’artiste.

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Titan White Rembrandt I, 1969 © Adagp, Paris 2017. Photo DR

L’art du portrait est aussi l’un des thèmes privilégiés d’Arroyo ; aussi la dernière séquence de l’exposition se centre sur les figures de héros que l’artiste s’amuse à déconstruire avec malice et espièglerie : le visage de la Reine d’Angleterre se trouve quasiment « dévoré » par la peinture tandis qu’Arroyo rend hommage à Winston Churchill, non pas à la figure politique que l’on retient, mais à Churchill artiste-peintre. « Dans le respect des traditions » est l’occasion singulière de plonger dans l’univers d’un « homme aux milles ruses », comme Ulysse ; un Eduardo Arroyo touchant de vérité, qui se positionne en observateur ironique des sociétés et des hommes.

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