Article proposé par Exponaute

H.R. Giger : la nuit, les pulsions, l’Alien, au Lieu Unique de Nantes

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Pour beaucoup, il est le père de l’effroyable créature de la saga cinématographique Alien. Pour une poignée d’amateurs d’univers torturés et claustrophobiques, il est un des plus grands créateurs de la seconde moitié du XXe siècle. Hans Ruedi Giger, à qui on a accordé bien des qualificatifs et autres superlatifs, demeure cependant un artiste inclassable, à l’univers si personnel que ses créations se reconnaissent d’un seul coup d’œil. Jusqu’au 27 août, le Lieu Unique de Nantes présente la plus riche exposition jamais consacrée à l’artiste suisse depuis trente ans. Un événement culturel. Une claque artistique.
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H.R. Giger, Necronom IV, 1976 © H.R. Giger Museum

Sur une vaste feuille de papier beige, s’étend tracé au feutre marron un inextricable labyrinthe de tuyaux, de veines, de conduits, de tubes, de renflements, de côtes et de boursouflures ; organiques et mécaniques à la fois. Après de longues minutes devant cette version industrielle des Prisons du Piranèse, on frissonne en découvrant encore de nouveaux détails.

Une colonne vertébrale de rouages, un crâne de fœtus encastré dans une orgue faite de nervures. De quel esprit a bien pu jaillir ce dédale de chair et de cuir, de tendons et d’aciers ? Pour obtenir une réponse, il suffit de se tourner vers la Suisse. Hans Ruedi Giger (1940–2014) fait, hélas encore aujourd’hui, partie de ces artistes qui n’accordent pas la demi-mesure.

Ou on l’aime ou on le rejette et, souvent, viscéralement. Mais peut-être est-ce là une forme de récompense pour ce maître de l’imaginaire qui aimait tant travailler sur les structures internes du corps humain ; ses peintures étant habitées par des écorchés bioniques, nous ouvrent toutes grandes les portes de leurs mécaniques internes. Os et câbles, organes et latex, tissus et métaux, veines et tuyaux.

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H.R. Giger, Torso VI, 1980 © H.R. Giger Museum

Biomécanique

Giger, du bout du crayon ou à l’aide d’un aérographe, a rendu tangible un univers bâti d’impossible. Il a pourvu d’un corps entre machine et vivant les cauchemars qui ricanaient dans ses nuits depuis l’enfance. Les pulsions sexuelles deviennent génitrices de force et d’imaginaire débridé.

La peur de l’enfantement se transforme en fascination pour le processus complexe de mise au point d’une vie minuscule. La femme, succube et dominatrice, toise avec grâce et prestance l’homme jouet de ses propres désirs. Si Giger fascine autant, c’est parce qu’il a matérialisé la fascination.

Pourtant, depuis 1979, le travail de l’artiste suisse né à Coire en 1940 se trouve réduit à une seule et unique invention : la créature fascinante et repoussante de la saga cinématographique Alien, initiée par le réalisateur Ridley Scott. Ce monstre humanoïde, à la férocité sans limite, parabole de la bestialité humaine et de ses pires travers (le viol est un thème récurrent dans le travail de Giger) a paradoxalement dévoré son créateur, avalant tout le reste de son œuvre.

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H.R. Giger, Necronom, 2005 © Matthias Belz – H.R. Giger

Déshumanisé

Et c’est en cela que le parcours temporaire proposé par le Lieu Unique de Nantes s’avère brillant : dans ce riche cheminement muséal, un seul et unique mur et consacré à son travail sur l’Alien (en particulier sur les premier et troisième volets de la saga, respectivement réalisés par Ridley Scott et David Fincher).

Hormis cette maigre part, place est rendue à l’univers véritable de l’artiste contemporain. Sa fascination pour la matière organique et ses probables transformations à l’ère du développement industriel. Ses lectures de l’auteur de science-fiction H.P. Lovecraft. Son amitié avec Alejandro Jodorowsky avec qui il travailla activement sur le projet avorté d’adaptation au cinéma du chef-d’œuvre Dune écrit par Frank Herbert.

Tout dans la créativité de Giger est affaire de symbiose. Les lunettes de laboratoire font corps avec les crânes de bébés blafards. Les colonnes vertébrales apparentes magnifient la complexe structure du corps humain que le créateur suisse truffe de rouages, boulons et tubes en tout genre.

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H.R. Giger, Birth Machine, 1998 © Matthias Belz – H.R. Giger

Vers un meilleur futur ?

Son monde froid et mécanique est celui du désespoir et de l’automatisme, celui où l’homme ne ferait plus corps qu’avec la machine, vidé de ses émotions tandis que Giger, au fur et à mesure qu’il prenait de l’âge, se laissait envahir par ses visions pessimistes et fantasmagoriques. Ses œuvres sont obsédantes, glaciales et poussiéreuses, couvertes de l’huile des rouages de nos sociétés contemporaines déshumanisées.

Giger semble dire qu’un autre monde est cependant possible, différent de celui qu’il prophétise atrocement dans ses peintures, dessins et sculptures. Et l’on ressort de l’exposition du Lieu Unique de Nantes avec la certitude que H.R. Giger était un grand visionnaire, parti bien trop tôt.

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