Article proposé par Exponaute
Au tout début des années 1960, en plein cœur du quartier très animé de Nieuwmarkt d’Amsterdam, quatre jeunes prennent la pose sur un cliché en noir et blanc, constellé d’un épais grain argentique. Regard de braise, mèche de cheveux plaquée en arrière à grand renfort de gomina, blouson de cuir et rouge à lèvre.
Les deux couples semblent amusés, jouent avec leurs attitudes travaillées face à l’objectif d’un photographe qui n’hésita pas à se diriger droit vers eux avant de leur lancer une invitation un peu provocante à prendre la pose, le temps d’un cliché à voler puis développer dans l’obscurité rougeâtre d’une chambre noire. Ce photographe, c’est Ed van der Elsken, qui aimait à se présenter comme un véritable « chasseur » aussi bien d’images que de sujets.
Disparu en 1990 des suites d’une longue maladie, van der Elsken est considéré comme un véritable pilier de la photographie de rue dans son pays natal, les Pays-Bas. Son œuvre intransigeante, forte, osée, mais toujours empreinte d’une grande urgence de vivre, passionne les amoureux de photographie et les amateurs de pellicule.
Car au-delà de capturer des instants de vie dans les mégalopoles qu’il a parcourues au cours de son existence, les clichés pris par le néerlandais sont également à lire comme de véritables autoportraits, des manifestes de sa propre vision de l’image, tout comme de la réalité.
En début de parcours, nous notons avec une certaine émotion la présence d’un portrait (cadré très serré) de la grande photographe d’origine hongroise Ata Kandó (1913 – ), qui fut mise en avant par le Fotomuseum de Rotterdam en septembre 2016. Rien de surprenant à trouver un portrait de cette femme exceptionnelle en bonne place dans le parcours, les deux artistes ayant été en couple avant de suivre des chemins séparés, en 1955. Les grandes étapes de l’existence d’Ed van der Elsken sont ainsi décryptées par le Jeu de Paume, dans la première grande rétrospective jamais consacrée au photographe en France.
Une vie trépidante, remplie peut-être jusqu’à l’excès, toute tournée vers l’amour de l’image ; figée (photographie argentique en noir et blanc, mais aussi en couleur) ou mouvante (on doit à van der Elsken plusieurs films et documentaires, dont le très émouvant Bye, testament filmé où l’artiste a documenté la lente mais inéluctable progression du cancer de la prostate qui l’emporta en 1990).
Comment alors, définir le travail du photographe néerlandais, si prolifique, grignoté par l’urgence de vivre, envahi par le besoin de ressentir intensément les vibrations des individus évoluant autour de lui ? Refusant l’indifférence à l’Autre, van der Elsken traquait aux quatre coins du monde des visages, des « gueules » comme on le dit dans le jargon du cinéma : ces faces portant les stigmates d’une vie, les rides d’un trop long éclat de rire, le maquillage affadi après une nuit de fête et d’ivresse.
Sans attache, volontiers bohème, anticonformiste, Ed van der Elsken était constamment en quête de ceux et celles qu’il appelait affectueusement « les siens » : des individus, peu importe leur genre, peu importe leur âge, du moment qu’ils portaient en eux (ou sur leurs traits) ces mêmes traces qui prouvent que la personne photographiée n’aura cherché qu’à brûler la chandelle par les deux bouts.
Mais c’est justement une beauté que cherchait l’artiste néerlandais : ces éclats étincelants, furieux, ardents, qui ne laissent pas de place au hasard ni à l’assagissement. Les photographies exposées dans le parcours du Jeu de Paume en attestent : elles vibrent, il s’en dégage une grande puissance, une joie indicible et un ton effronté. On en redemande !
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