Article proposé par Exponaute

Derain, Balthus, Giacometti, triangle artistique

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Autant l’annoncer tout de go tandis que nous ressortons de ce nouveau parcours proposé par le Musée d’art Moderne de la ville de Paris : l’exposition est une vraie réussite. Cet accrochage, visible du 2 juin au 29 octobre 2017, c’est celui consacré à trois monuments de l’art moderne, trois esprits à la soif créative insatiable, trois genres si éloignés et pourtant qui tissèrent des liens d’amitié indéfectibles : André Derain, Balthus et Alberto Giacometti. Plus qu’une exposition temporaire, une exploration érudite, une comparaison brillante.
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André Derain, Geneviève à la pomme, vers 1937–1938 © Collection privée

Huit longues étapes et trois cent cinquante œuvres. Mais il fallait au moins cela afin de célébrer un trio  d’artistes bien connus de l’époque moderne. Tandis qu’Alberto Giacometti (1901–1966) a récemment été rapproché de Picasso par l’institution parisienne du même nom il y a quelques mois et fait actuellement l’objet d’une exposition admirable à la Tate Modern de Londres, André Derain (1880–1954) et Balthus (1908–2001) n’avaient plus eu droit à un accrochage dans l’Hexagone depuis plusieurs décennies.

Pour trouver trace de ces précédentes expositions, il convient de remonter aux années 80 et 90. Qu’importe ! Les deux génies sont aujourd’hui réunis par le Musée d’art Moderne de la ville de Paris, accompagnés d’un troisième compère, le Suisse Giacometti donc.

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Balthus, Jeune fille à la chemise blanche, 1955 © Pierre & Tana Matiss Foundation

Privilège de l’aînesse peut-être, c’est une œuvre d’André Derain qui ouvre ce bal artistique. Une huile sur toile petite par sa taille, grande par sa brillance et son importance pour le discours de l’exposition temporaire du MaM. C’est en effet face à ce tableau qu’Alberto Giacometti reçu un choc esthétique qu’il n’avait encore jamais éprouvé, happé comme il le fut par la modernité de cet artiste de vingt ans son aîné. Le tableau, intitulé très sobrement Nature morte aux poires, fut réalisé aux alentours de 1936.

La composition est sobre, deux fruits trônent nimbés d’une lumière majestueuse, tandis que des touches délicates de blanc nimbent les courbes d’une cuillère en argent et titillent la transparence d’un verre à pied. Ces éléments banals du quotidien trouvent sous le pinceau de Derain une puissance presque irréelle, posant ainsi devant un fond uniformément noir, profond mais nullement sourd, enveloppant mais en aucun cas écrasant. Cette obscurité dominante est la clé pour qu’éclatent les rares touches de lumière.

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Alberto Giacometti, Autoportrait, 1920 © Fondation Beyeler

Face aux huiles sur toiles douces de Derain, face aux portraits de Balthus (Balthasar Klossowski) aux couleurs chaudes, aux touches assurées, on retrouve de premières esquisses signées Giacometti. Des dessins violents, brutaux, desquels se dégage une fureur irréelle. Des traits, des hachures, des coups de mine de plomb puissants et pourtant, de ce séisme artistique gris et noir, ressortent les traits d’un visage comme taillé à la serpe. Du maelström créatif, surgit une beauté indicible.

Réunis un temps par leur goût et leur approche sensible du surréalisme, Derain, Balthus et Giacometti demeurèrent rattachés les uns aux autres par leurs visions communes de ce que devait être l’art, alors que le XXe siècle n’en est qu’à ses premiers balbutiements, tourmenté entre le Premier Conflit Mondial, les espérances d’une nouvelle ère pleine d’avancées techniques et l’intérêt pour des recherches esthétiques inédites ; recherches qui trouvent très souvent un creuset foisonnant dans les arts extra-européens, primitifs.

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André Derain, Isabel Lambert, 1934–1939 © North Carolina Museum of Art

Des découvertes qui en bouleversèrent d’autres (comme Pablo Picasso) et permirent de repenser les canons de la création occidentale via ces artistes de la première moitié du XXe siècle, sans pour autant qu’ils ne renient leurs « classiques ». On le voit dans les premières étapes du parcours du MaM de Paris, Giacometti s’est formé au contact des œuvres des Anciens Maîtres pendant une longue année passée en Italie, tandis que ses amis vouent une admiration sans borne à Raphaël et Piero della Francesca.

Alors, le trio de camarades crée, sans relâche. Animés par leurs fréquentations communes (Aragon, Camus, Beckett, Malraux ou encore Sartre font partie de leur cercle d’amis), ils produisent des synergies incomparables entre influences venues des primitivismes et une quête effrénée de nouveauté.

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Alberto Giacometti, L’homme qui marche II, 1960 © Fondation Maeght

Les natures mortes de Derain fascinent de leur silence fier et de leurs couleurs hypnotisantes, les bustes filiformes, torturés, effrayés par la finitude de Giacometti bouleversent nos émotions, les scènes de jeux enfantins représentées par Balthus nous amènent à nous interroger sur la signification profonde de termes comme « innocence », « ingénuité », « absence ».

Le regard apporté par l’exposition du Musée d’art Moderne de la ville de Paris : « Derain, Balthus, Giacometti : une amitié artistique » s’avère véritablement novateur. Il nous donne à admirer des ponts aussi évidents qu’inattendus, des jeux de résonnance malins, mais surtout une connivence réjouissante entre trois grands artistes qu’on ne se lasse pas de (re)découvrir.

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Retrouvez dans l’Encyclo : Alberto Giacometti

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