Article proposé par Exponaute

L’identité culturelle en question avec “Tous, des sang-mêlés” au MAC VAL

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Le musée d’art contemporain du Val de Marne (MAC VAL, à Vitry sur Seine) présente jusqu’au 3 septembre prochain une exposition dédiée à l’exploration de l’identité culturelle. Par la voix d’une soixantaine d’artistes et de plus d’une centaine de propositions protéiformes, elle dresse un parcours volontairement non-balisé autour de l’ensemble des thématiques constitutives de l’identité : culturelle, nationale, sexuelle, en soulignant son caractère fictionnel, et surtout mouvant, évolutif et hybride.
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Will Kwan, Flame Test, 2009 © Toni Hafkenscheid

C’est dans le contexte des élections présidentielles que l’exposition « Tous, des sang-mêlés » a vu le jour au MAC VAL, le 22 avril dernier. Aussi l’exposition aborde un propos brûlant, transhistorique, dans une exposition audacieuse et engagée. Qui sommes-nous, comment nous définissons-nous, qu’est-ce qui nous rapproche, nous éloigne ? Autant de questions ici soulevées par le témoignage plastique d’une soixantaine d’artistes, dont la pluralité des voix ne fait qu’augmenter le caractère divers, métissé et hybride de la notion d’identité, à rebours d’une identité fixe et fermée, figée dans un cadre.

Dans ce refus de catégorisation et d’homogénéisation, le parcours de l’exposition conçu par les commissaires Julie Crenn et Frank Lamy, assistés de Julien Blanpied et Ninon Duhamel, est éclectique et non-balisé. Chacune des œuvres s’impose par une force singulière et le visiteur chemine dans l’exposition comme dans un espace où de multiples histoires se rencontrent, entre références autobiographiques et narrations fantasmées, afin d’y construire un parcours unique, selon la sensibilité qui lui est propre.

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Ninar Esber, Arlésienne, 2007 © Courtesy de l’artiste et galerie Imane Farès

Une installation du collectif Claire Fontaine ouvre et clôt l’exposition. Formée par plusieurs néons multicolores et déclinés en plusieurs langues, « Etrangers Partout » est la formule par laquelle le visiteur est accueilli, rappelant ainsi que partout où nous allons, nous sommes quelque part des « étrangers ». A la figure d’étranger, l’artiste Nina Esber préfère celle de l’Arlésienne. Un personnage fictif dont les contours de l’histoire nous échappent. Arlésienne est un autoportrait de l’artiste formé de 49 photographies au format identité, qu’elle multiplie au gré des origines hypothétiques qui lui sont énoncées chaque jour. 49 images, 49 questions qui peuvent être résumées en une seule : d’où venez-vous ?

Vient aussi se poser la question de la langue, avec Mother Tongue de Zineb Sedira. De l’arabe au français, puis du français à l’anglais, le triptyque vidéo montre trois membres d’une même famille qui discutent. Or dans le dernier maillon de la filiation, le lien semble rompu entre la grand-mère et la petite fille, chacune s’exprimant dans sa langue maternelle, une langue que l’autre ignore. Aussi Lahouari Mohammed Bakir choisit la langue internationale, l’anglais, pour sa photographie baptisée Homeland réalisée devant le port de Sète, où passent les bateaux en direction du Maroc. Mais quelle signification donner à Homeland : entre appel à l’aide ou bien, revendication patriotique.

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Lahouari Mohammed Bakir, HOMELAND, 2011 © Collection Frac Poitou-Charentes, Angoulême

L’artiste franco-marocaine Bouchra Khalili a traversé cinq pays, six villes et rencontré huit voyageurs dont elle raconte les pérégrinations à travers une série de six constellations. Ces compositions sur fond bleu renvoient au système de navigation astronomique, et prennent comme point de repère l’ensemble des villes mentionnées. Chaque étape est assemblée selon une ligne en pointillés, qui vient produire un corpus de constellations aux formes abstraites, basé sur des témoignages réels.

L’une des pièces centrale de l’exposition est sans conteste l’œuvre de Karim Ghelloussi. Avec Passagers du silence, un groupe sculpté à échelle humaine réalisé à partir de résine et de ciment, Karim Ghelloussi montre des silhouettes en transit, réduits au silence. Le choix des matériaux pauvres et sombres traduit la dureté de leur épreuve, mais également le regard que nous portons sur eux. De ce groupe à la taille monumentale émane une charge poétique qui lui confère une incroyable puissance, une dignité presque solennelle.

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Karim Ghelloussi, Sans-titre (Passagers du silence), 2011–2014, Courtesy Circonstance Galerie, Nice. © Adagp, Paris 2017

Elle n’est pas sans rappeler Les bourgeois de Calais, un autre groupe sculpté par Auguste Rodin en 1895 ; mais ici, la résine remplace le bronze, tandis qu’aux bourgeois sont préférés des individus dont on ne sait deviner la condition sociale. Non-loin se trouve une statue de bois africaine juchée sur une pile de valises en carton, une œuvre de Présence Panchounette. Malgré l’humilité des bagages usés, ici rien de misérabiliste. L’homme ainsi représenté sur un piédestal écoute de la musique, qui semble lui procurer force et puissance.

A l’instar de l’ensemble des éléments constitutifs de l’identité, l’une des questions essentielles sous-tendue dans l’exposition est celle de la manière dont on raconte l’histoire. La vidéo conçue par l’artiste Sylvie Blocher en est un parfait exemple, puisque l’artiste nous livre quatre versions d’un même épisode historique : en l’occurrence, la bataille de Fort Alamo. Parmi ces versions, il y a celle fournie par le guide conservé au musée (le San Antonio Museum of Art, au Texas), plus une version latino-américaine, une version afro-américaine et une version indienne. Toutes sont complémentaires… et différentes.

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Présence Panchounette, Bateke (Walkman), 1985 © Collection MAC VAL, Vitry-sur-Seine

« Tous des sang-mêlés » chemine ainsi parmi des propositions très diverses, certaines soulèvent des débats tandis que d’autres font surgir de la mémoire les méandres et traces du passé. A chacun de construire ici sa propre histoire, de formuler son propre récit au contact des propositions protéiformes et des diverses expériences d’artistes qui se confrontent et interrogent, dans une volonté de rencontre et d’échange, à rebours des discours alarmistes et de repli sur soi. L’exposition nous rappelle plutôt, par la voix de ses commissaires, que l’identité culturelle est « une construction, un concept qui se performe », « qui se transforme au fil des expériences », que « nous sommes tous des passants, des migrants, des métis, des hybrides, des étrangers, des constructions, des êtres en Relation. Tous, des sang-mêlés. »

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