Article proposé par Exponaute
Pounamu ne s’admire pas simplement. La roche au contact glacé mais duveteux, doux et puissant à la fois, se touche, se caresse, s’explore. Le visiteur de l’exposition « La pierre sacrée des Maori » au musée du Quai Branly – Jacques Chirac y est invité d’emblée, en ouverture de parcours. L’introduction est donc moins intellectuelle que sensorielle. Du plat de la main, nous laissons la force des anciens Maori passer en nous, créant un lien entre la matière minérale et notre épiderme. Dans cette culture ancestrale néozélandaise, ce pont jeté se révèle primordial. Passée cette initiation à percevoir les vibrations millénaires d’une roche admirée par la culture Maori, l’exposition propose une étape essentiellement tournée vers la géologie.
Car Pounamu se mérite et c’est ce qui ajoute à son prestige. Cette pierre ne peut en effet se trouver qu’au sud-ouest de l’archipel néozélandais, dans des territoires isolés et ardus d’accès ; fjords escarpés, montagnes impénétrables. Au péril de leur vie, les Maori parcouraient ces terres hostiles, exploraient les rivières de la région de Te Wai Pounomo dans l’espoir de mettre la main sur ce minéral aussi rare que magnifique. Les pierres glanées à la sueur de leur front, les hommes rapportaient à leurs tribus ces éléments. Alors pouvait débuter le long, fastidieux, mais passionnant travail de sculpture : armes cérémoniales, pendentifs Tiki, figurines humanoïdes, boucles d’oreilles touchant presque les épaules… Cette variété de jade ornait tout particulièrement la tête des Maori, partie du corps la plus sacrée de leur culture. Pas moins de deux cents pièces de cet artisanat admirable sont exposées aujourd’hui sur la mezzanine est du Quai Branly.
Le cheminement muséal, découpé en cinq étapes distinctes, s’attache à décrypter le passé, le présent mais aussi le futur de cette pierre sacrée pour les Maori. Mais au fait, qui sont-ils ? Est-on là en présence d’une culture unique, à la population unifiée et aux rites similaires ? Un coup d’œil rapide à une carte de la Nouvelle-Zélande nous l’apprend : on compte une petite trentaine de tribus différentes à travers tout l’archipel, elles-mêmes divisées en sous-clans. Les structures sociales très codifiées ont assuré la pérennité de ces peuples à travers les siècles même si à notre époque, les Maori ne constituent plus que 15% de la population totale de la Nouvelle-Zélande.
Les artefacts sculptés en néphrite, serpentinite et bowenite sont accompagnés de photographies, allant du milieu du XIXe siècle à notre époque contemporaine, grâce auxquelles on peut constater que les codes esthétiques et rituels n’ont pas tant évolué au sein de cette culture de l’hémisphère sud : sceptre rituel, pendentif Tiki autour du cou, parures d’oreilles éclatantes… Les objets se transmettent de génération en génération et l’exceptionnelle dureté de ce type de pierre l’aide à traverser les âges sans en souffrir pour autant.
C’est un véritable bonheur que de passer de longues minutes à admirer les diverses pièces d’artisanat présentées dans les vitrines du musée du Quai Branly – Jacques Chirac. Bagues d’oiseau (principalement des perroquets dressés pour la chasse), pendentif anthropomorphe, arme de poing, bijou en forme de crochet, broche, hache cérémonielle… Ces mêmes artefacts revêtent tous une valeur bien différente, selon les propriétés et les qualités de la pierre dans laquelle ils ont été réalisés. Ainsi les pièces en bowénite, matériau extrêmement rare, sont particulièrement prisées. Les « dunite », « semi-néphrite » ou « grauwacke » des géologues sont elles-mêmes subdivisées en différentes familles par les Maori, qui les classent selon la douceur de la taille, les couleurs des stries, les teintes et les reflets… Selon ces caractéristiques, le jade néozélandais portera le nom de Kahurangi, Kawakawa, Inanga… Chaque terme renvoyant à une couleur bien définie, le lieu du gisement, les goûts de la tribu…
Voilà donc une exposition très courte, mais intéressante que nous propose le Quai Branly. On regrettera peut-être que les somptueuses pièces n’aient pas été mises davantage en valeur. Au lieu de regrouper les pendentifs et armes par plusieurs dizaines dans une seule et même vitrine (où les objets ne peuvent plus briller de leurs spécificités et beautés), peut-être eût-il fallu les mettre un peu plus en avant à l’aide de petites vitrines individuelles ? En plaçant des coups de projecteur sur une poignée d’objets, le visiteur se serait peut-être plus attaché à ce qu’il voit. Mais c’est bien là notre seul bémol, car le parcours vaut indéniablement le détour.
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