Article proposé par Exponaute
Comme point de départ de l’exposition, il y a d’abord l’anniversaire de Magnum Photo. En 1947, Capa, Cartier-Bresson, Seymour, Rodgers et Vandivert s’associent pour créer l’agence Magnum sur un modèle inédit. Une agence sélective, coopérative et indépendante, qui aujourd’hui encore fonctionne par cooptation : pour devenir membre, un photographe doit d’abord être adoubé par l’ensemble des membres de l’agence ; une fois admis, il en devient actionnaire.
Mais Magnum Photo signe surtout la prise d’indépendance des photographes face à la grande presse illustrée de l’époque, venant affirmer des principes fondamentaux, qui nous paraissent évidents aujourd’hui mais ne l’étaient pas du tout pour l’époque. A la fin des années 1940, les magazines commandaient des sujets aux photographes qui perdaient automatiquement leurs droits sur les images.
Dès sa création, l’agence Magnum réaffirme le fait que les négatifs restent la propriété du photographe et impose le Copyright en photographie. Ils imposent par ailleurs de conserver un droit de regard sur le choix des clichés, légendés par leurs soins et non-recadrés. C’est une vraie révolution pour l’époque, puisque Magnum invente le statut de photographe « auteur », libre et indépendant.
Aussi l’anniversaire de Magnum coïncide avec la mise au jour d’importants fonds historiques, jusqu’alors conservés dans les archives de l’agence parisienne dans des boîtes au nom de chaque photographe. Diane Dufour s’est plongée dans ces trésors, un travail titanesque qui lui a permis de rassembler un ensemble de tirages historiques iconiques et inédits, pour certains jamais publiés.
« Ce fonds rassemble des tirages cartoline envoyés aux agents européens de Magnum pour diffusion à la presse, de 1947 à 1970. Ce fonds remarquable ne contient pourtant qu’une infime part des centaines de milliers de tirages distribués sur plus de 30 ans par le bureau de Paris et, bien souvent, les images les plus célèbres manquent », confie-t-elle. Aussi l’exposition offre une traversée de la grande Histoire et de ses moments clés, des images ancrées dans notre mémoire collective côtoient d’autres clichés plus rares, parfois moins sensationnalistes, témoignant de la société de l’époque.
Ainsi Robert Capa documente les troupes américaines à l’assaut d’Omaha Beach le jour du débarquement (le 6 juin 44) ; Glinn photographie les prisonniers palestiniens à Gaza (1957) ; Kryn Taconis montre le bataillon du FLN en Algérie… un moment crucial dans l’histoire de Magnum : « Était-il raisonnable de mettre tout l’avenir de Magnum en péril pour la publication d’un seul reportage ? », cite Marc Riboud ; le reportage fut publié seulement aux Pays-Bas, Magnum craignant les représailles de la part du gouvernement français.
Des questionnements éthiques, politiques et sensibles ici soulignés par la présence d’innombrables citations, de légendes et de textes écrits par les photographes eux-mêmes ; permettant de prendre le pouls d’un certain état d’esprit au moment de la parution de ces images, entre tensions, doutes et frustrations. Peut-on faire de l’image sur la misère du monde, photographier l’horreur et la mort ?
Des questionnements très contemporains, qui interrogent la place du photographe face à son sujet, comme l’a aussi décrit le photographe Erich Lessing : « Après Budapest, je ne voulais plus couvrir aucune révolution ni aucune guerre. Avant, je pensais, comme Capa, qu’en prenant des photos nous pouvions montrer le vrai visage du monde, et avoir ne serait-ce qu’une infime influence sur les comportements et le cours de la politique. Or tout journaliste apprend au bout d’un temps plus ou moins long que cela est faux – les plus horribles photos de guerre n’arrêteront jamais les guerres. En montrant une révolution, vous n’aidez pas la révolution, ni le contraire, vous ne faites que la documenter. »
Une sélection pointue à découvrir jusqu’au 27 août prochain.
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