Article proposé par Exponaute

Tintamarre : quand peinture et musique se rencontrent, au musée des impressionnismes de Giverny

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« Tintamarre ! », c’est le nom de l’exposition proposée par le musée des impressionnismes de Giverny, qui courre depuis le 24 mars et ce, pendant toute la période printanière jusqu’au 2 juillet. Comme une invitation à la fête, l’exposition plonge le visiteur dans le Paris du Second Empire, celui du divertissement et de l’effervescence artistique, où art et musique convergent et deviennent emblématiques d’un mode de vie moderne.
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Gustave Caillebotte, La Leçon de piano, 1881 © Paris, musée Marmottan-Monet

A travers une centaine de peintures, dont certaines signées des plus grands (Caillebotte, Renoir, Degas, Manet, Bonnard ) ainsi que des illustrations, des lithographies et dessins, tous réalisés entre 1860 et 1910, le musée des impressionnismes de Giverny aborde une thématique tout à la fois joyeuse et foisonnante, jusque-là peu montrée :  celle de la représentation de l’instrument de musique dans la peinture.

En effet la fin du XIXe siècle témoigne d’un nouveau rapprochement entre ces deux « arts sœurs », considérés comme tel par Léonard de Vinci. Le piano fait son entrée dans le mobilier des artistes, les leçons de musique deviennent de rigueur dans les milieux bourgeois tandis que le tout-Paris se rue dans les cafés-concerts qui se démultiplient à vue d’œil. Les artistes fréquentent les mêmes cercles, aussi les relations sont nombreuses entre peintres et instrumentistes, quand ce n’est pas directement les peintres qui se font eux-mêmes musiciens.

C’est ce foisonnement qu’a cherché à mettre en lumière le musée des impressionnismes de Giverny, dans une exposition pensée par thématique et qui nous offre un regard décalé sur la peinture de cette époque. Alors que tour à tour, le visiteur aborde diverses thématiques comme les « Divertissements musicaux » montrant l’importance de la musique dans les moments de loisirs, ou l’ « Ailleurs musical », montrant l’intérêt qu’ont les artistes pour une vie musicale plus bucolique, en plein air ; c’est sur la section « Au salon », que nous allons particulièrement nous intéresser aujourd’hui.

John Singer Sargent; 1897; Oil on canvas; 58 1/2 x 33 5/8 in. (148.6 x 85.3 cm); Gift of Joseph H. Hirshhorn, 1972

John Singer Sargent, Catherine Vlasto,  1897 © Washington, Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Smithsonian Institution / Photo : Cathy Carver

Car la fin du XIXe siècle voit l’instrument de musique faire son entrée dans la sphère intime et privée des foyers bourgeois, et le thème de la leçon de musique qui met en scène deux personnes autour du clavier, s’il a déjà un long passé, continue d’inspirer les peintres de l’époque. Les maîtres de la peinture hollandaise comme Vermeer ou Gérard Dou ont en effet et bien plus tôt, souvent joué sur l’interaction entre le maître et l’élève, et sur ses associations érotiques possibles. D’ailleurs, pour le public du XIXe siècle, les « leçons de musique » évoquent à elles-seules le badinage amoureux, même si les réalités de l’enseignement modifient progressivement cette perception.

Aux côtés des enfants qui suivent le plus souvent cette éducation, les femmes sont en première ligne dans cette vie musicale du foyer, représentées le plus souvent au piano, ou à côté de leur piano ; qui lui-même devient un simple accessoire de portrait, symbole de luxe, d’éducation, propice aux jeux de séduction. Si Caillebotte évite ces associations douteuses dans sa célèbre Leçon de piano (1881), s’attachant à illustrer la profonde application de ces deux femmes dont on ne voit pas le visage, dans un traitement réaliste et moderne ; d’autres comme le peintre américain John Singer Sargent (un portraitiste mondain très recherché à l’époque) confèrent une vision plus sensuelle de l’exercice. Une relation ambiguë s’instaure entre la jeune femme, Catherine Vlasto, et le piano derrière elle ; le Bechstein droit que Sargent avait dans son atelier londonien. Ici, l’accessoire vient mettre en valeur l’élégante robe blanche de la jeune femme, dont la manière de faire pression sur le clavier laisse songeur.

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Renoir, Madame Georges Hartmann, 1874

Quant à Renoir, il représente l’épouse d’un important éditeur de musique parée de ses plus beaux atours, elle aussi auprès du piano. Madame Georges Hartmann (1874) revêt un élégant vêtement noir aux cols et poignets blancs, ainsi qu’une volumineuse traîne qu’elle soutient de sa main gauche tandis que la main droite tient un éventail ; la scène traduit l’aisance de la jeune femme, dont le regard, affirmé et soutenu, se dirige cette-fois vers le spectateur.

Si la charge érotique sous-tend de nombreuses représentations de la scène au piano, la situation, pour ainsi dire, dérape complètement dans le duo de la Sonate à Kreutzer (1901), l’une des œuvres les plus emblématiques du peintre René Prinet. Le titre est directement tiré de la sonate pour violon et piano de Beethoven, et de la sulfureuse nouvelle du même nom publiée par Tolstoï en 1889 (le protagoniste maladivement jaloux imagine que la sonate exacerbe la passion entre sa femme pianiste et le violoniste, et finit par commettre un meurtre). La peinture exposée en 1901 à Stuttgart sera vendue au Prince Régent de Bavière avant d’être acquise par Javier Serra, directeur de Dana Perfume ; elle deviendra particulièrement célèbre dans les années 40 alors que son propriétaire s’en servira comme publicité pour le lancement de son nouveau parfum au nom des plus évocateurs, « Tabu »…

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René Prinet, La Sonate à Kreutzer, 1901

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