Article proposé par Exponaute
De prime abord, à quoi reconnaît-on d’emblée une œuvre du peintre symboliste Gustave Moreau ? À sa complexité, probablement. Pas dans le style, qui est aussi maîtrisé que précis. Pas dans ses thèmes qui sont traditionnellement tirés de la Bible ou de la mythologie grecque. Non, lorsque l’on parle de complexité chez Gustave Moreau, c’est à la construction même de la peinture que nous faisons référence.
Dans le peu de textes que le peintre a laissé à la postérité, celui-ci expliquait que la peinture, par définition, était une pratique riche dont la qualité devait pouvoir rivaliser avec l’émail : diversité des motifs, richesse des éléments, foisonnements de détails, méticulosité dans la représentation des éléments de décoration.
C’est ce qui explique cette sensation de foisonnement qui saisit le spectateur lorsqu’il admire une peinture de cet artiste atypique, qui empreinte aussi bien à l’Académisme, au Romantisme et aux influences italiennes : chaque œuvre fourmille d’un millier de petits éléments qu’il convient de découvrir, explorer puis apprécier.
Il suffit de regarder l’œuvre qui nous occupe aujourd’hui, Salomé dansant devant Hérode, pour en avoir pleinement conscience. Par l’apposition de fines touches de peinture du bout du pinceau, Gustave Moreau recrée, directement puisé dans son imagination et dans son goût pour l’Orientalisme, l’intérieur du palais pharaonique du roi biblique Hérode. Colonnes, arches, voûtes, trônes, encensoirs, tapis, tapisseries, tentures, vêtements, coiffes…
Tout, absolument tout dans cette œuvre exceptionnelle respire la richesse, l’opulence ; bien que certaines parties de l’architecture soient plongées dans cette obscurité quelque peu vaporeuse dont raffolait Léonard de Vinci. Les ors, vermeils et pierreries scintilleent à nos yeux grâce aux pointillés de peinture blanche dont Moreau constelle avec brio sa toile. Et au milieu de cette abondance, on distingue cinq personnages, mais deux seulement se détachent sensiblement de l’ensemble de la composition.
La jeune et belle Salomé d’abord, dont le teint d’une blancheur exquise pourrait rivaliser avec le marbre de Carrare du David de Michel-Ange. Puis le vieillard Hérode, le dos voûté, comme écrasé par le lourd drap tissé et recouvert de pierres précieuses qu’on lui a jeté sur les épaules pour rappeler sa position hiérarchique.
Ses traits sont allongés par une barbe qui, sous le pinceau de Moreau, se mêlent imperceptiblement avec le menton, tant et si bien qu’il est délicat de discerner l’un de l’autre et donc, de faire abstraction du grand âge du souverain, si fasciné par la fraîcheur de cette jeune fille venue danser devant lui.
D’où peut provenir cette inspiration débordante ? Moreau, en plus d’être un peintre prolifique, était également connu pour son penchant de collectionneur. Au cours de son existence, il acquit un nombre incalculable de gravures, dessins, peintures et photographies qu’il admirait de longues heures puis classait méticuleusement, de sorte à se constituer une véritable bibliothèque de références visuelles éclectiques. C’est pour cela que, bien que l’on classe Moreau dans le courant du symbolisme, il est très difficile de saisir avec précision quels sont les codes récurrents de sa peinture. Salomé dansant devant Hérode en est un parfait exemple.
On y voit une inspiration issue de l’univers de Nicolas Poussin, de Léonard de Vinci, de Jacques-Louis David ou encore d’Ingres. Dans cette œuvre au sujet biblique, Gustave Moreau ne cherche aucunement à recréer sur le tableau un spectacle d’après nature, il cherche avant tout et surtout à s’adresser à l’intellect, à l’esprit du spectateur. Dans cette peinture, l’artiste a placé son désir de tendresse, ses aspirations au rêve ainsi que son goût pour les mystères du sacré… et de la femme.
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