Article proposé par Exponaute
Shōjirō Ishibashi. Le nom de cet homme d’affaires japonais ne vous dit probablement rien, celui de son entreprise, lui, vous parlera nécessairement, tant celle-ci est devenue un empire. Ce personnage est en effet le créateur de la marque de pneus Bridgestone (deux mots anglais qui reprennent la signification des idéogrammes de son nom, Ishi signifiant pierre et Bashi voulant dire pont). Mais en vérité, c’est là un échantillon d’une politique d’acquisitions menée par trois générations de la famille Ishibashi : père, fils et petit-fils. Tous partagent cette même passion pour l’art, de l’impressionnisme aux créations les plus contemporaines, de Claude Monet à Pierre Soulages. A l’heure actuelle, la Fondation Ishibashi (qui a également ouvert son propre musée au cœur de Tokyo en 1952) se trouve à la tête d’un ensemble de 2600 œuvres.
C’est donc en toute logique que la première étape de la nouvelle exposition temporaire du Musée de l’Orangerie s’attache à présenter aux visiteurs Shōjirō Ishibashi, ses héritiers, son goût pour l’art et la constitution de cette impressionnante collection, à l’aide d’un petit film présentant le directeur de l’empire Bridgestone, ainsi que quelques pièces d’artistes modernes japonais dont les influences mêlent tradition nippone et redécouverte du style occidental. Car si c’est un peintre du style yō-ga (avec des œuvres de Shigeru Aoki) qui nous accueillent, le cœur battant de la collection Ishibashi n’en demeure pas moins l’impressionnisme. Le fondateur de l’empire Bridgestone a commencé à s’intéresser à la peinture à l’huile japonaise, mais ses connaissances s’élargissant, il s’est peu à peu pris de passion pour l’impressionnisme français, au point qu’aujourd’hui la collection se concentre majoritairement sur cette école picturale.
Les toiles exceptionnelles se succèdent mais ne se ressemblent pas nécessairement. Comment bien sûr, ne pas s’extasier devant deux œuvres de Claude Monet représentant son cher étang de Giverny ? Les deux huiles, intitulées simplement Nymphéas, ont été réalisées par des cieux différents, l’un par un beau matin de printemps rosé, l’autre sous un ciel chargé et peut-être orageux, à en juger par la teinte orangée de l’onde. Aux côtés du maître, on croise un époustouflant Gustave Caillebotte, représentant un pianiste en intérieur travaillant ses gammes. La recherche sur l’effet de lumière pénétrant à travers les voilages, la blancheur laiteuse des touches de l’instrument, la belle laque noire du piano réverbérant la lumière laissent admiratifs. Mais Pissarro, Sisley, Renoir, Courbet ou encore Millet ne sont pas en reste, preuve que la famille Ishibashi sait choisir, sait déceler ce petit quelque chose qui fait d’une toile une pièce d’exception.
On reste de longues minutes à admirer une petite toile de Vincent van Gogh exécutée lors de son court séjour parisien aux côtés de son frère Theodorus. Le peintre néerlandais a choisi de représenter deux moulins qui, à la fin du XIXe siècle, se dressaient sur la butte Montmartre. Les touches épaisses, vivaces et fortes démontrent déjà le changement de style qui s’opérait chez l’artiste et pour lequel il est mondialement célébré aujourd’hui. Aux côtés de cette petite merveille, un marbre signé Auguste Rodin nous regarde depuis l’intérieur de son épaisse vitrine trônant au milieu de la salle d’exposition tandis que tout autour d’elle, dansent les formes rondes de Toulouse-Lautrec et nous transperce le regard de l’autoportrait de Paul Cézanne, dit « au chapeau mou ».
On note également la présence d’une très belle feuille de Gustave Moreau, pleine d’une sensualité à peine contenue et de son habituelle obsession pour les femmes vénéneuses et ensorceleuses, vêtues à la manière d’un orientalisme fantasmé. Quelques pas encore et l’on entre dans l’ère de la modernité et pas avec n’importe quelle œuvre, s’il vous plaît ! Un couple enlacé et figé en sculpture nous accueille : il s’agit du Baiser de Constantin Brancusi, côtoyant une merveilleuse et sensuelle sculpture d’Ossip Zadkine, célébrant lui aussi, à sa façon, les formes pleines du corps de la femme. Quelques beaux Picasso, ainsi qu’un très beau Modigliani viennent couronner l’ensemble.
Enfin, le parcours se clôt avec l’abstraction, la figuration d’après-guerre : Jackson Pollock et ses jets de peinture caractéristiques, mais également un Soulages mêlant noir, évidemment, mais aussi quelque touches rougeâtres d’une grande profondeur. On retiendra surtout un Hans Hartung plein de poésie et une magistrale toile de Zao Wou-Ki, datant de 1985. Un parcours époustouflant donc, qui fait la part belle aux très grands noms de l’art, pour notre plus grand bonheur.
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