Article proposé par Exponaute

Boisgeloup : quand Picasso était normand, au musée des Beaux-Arts de Rouen

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Il y a quelques mois sur exponaute, nous vous avions parlé d’une saison Picasso qui allait égayer les institutions culturelles de la ville de Rouen. En cette fin du mois de mars, nous avons eu le bonheur de découvrir les trois expositions consacrées au maître espagnol du XXe siècle. Commençons si vous le voulez bien par la première d’entre elles, qui se déroule jusqu’au 11 septembre prochain au sein du Musée des Beaux-Arts de Rouen. Avec « Boisgeloup : l’atelier normand de Picasso », le musée nous invite à comprendre comment cinq années passées aux portes de la Normandie insufflèrent un élan nouveau à la pratique de l’artiste. Visite.
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Pablo Picasso, Boisgeloup sous la pluie, 1932 © RMN-Grand Palais – Succession Picasso

En guise d’introduction, le visiteur se glisse dans une toute petite pièce du Musée des Beaux-Arts de Rouen, jouxtant son magnifique jardin de sculptures. Là, s’exposent des lettres, des listes de fourniture, des bons de commande griffonnés ou signés à la hâte par Pablo Picasso. Dans son écriture, on perçoit une certaine hâte, comme une délicieuse frénésie. D’où peut provenir cet élan qui pousse le créateur à toujours commander plus d’outils, plus de plâtre, plus de châssis, plus de peinture ?

Alors pour comprendre, on détourne le regard et l’on se retrouve face à une série de trois toiles charmantes, représentant des paysages : registre peu pratiqué par Picasso au fil de sa longue et prolifique carrière. Sous une pluie battante, baignée par les éclaircies heureuses de l’été, ou auréolé d’un arc-en-ciel indiquant l’arrivée imminente d’une accalmie, nous observons la fière façade beige d’un manoir du XVIIe siècle.

C’est là Boisgeloup, domaine acheté sur un coup de tête par Pablo Picasso et au creux duquel, pendant cinq ans, il créa sans relâche, entouré de son épouse Olga Picasso, de ses chiens adorés et d’un cercle très restreint d’amis. L’idée était d’échapper à la célébrité, au bouillonnement parisien et ses incessantes sollicitations qui empêchaient l’artiste de se concentrer sur tout ce qui lui importait au bout du compte : être artiste.

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Pablo Picasso, Le sculpteur, 1931 © RMN-Grand Palais – Succession Picasso

Renouveau

Le passage au sein du château de Boisgeloup est une époque généralement peu étudiée lorsqu’on se penche sur la foisonnante bibliographie consacrée à Pablo Picasso, disparu en 1973. Pourtant, au sein du domaine, l’artiste espagnol trouvait tout ce qui lui était nécessaire pour laisser cours à son inspiration.

Au rez-de-chaussée, de grands espaces vides et hauts de plafond pour son travail sur la sculpture. Et à l’étage, d’anciennes chambres très lumineuses, idéalement exposées, où il ne tarda pas à poser ses chevalets et ses tubes de peinture.

Là, il conçoit des œuvres de belle taille, explorant de nouvelles possibilités ouvertes par le plâtre ou le fer forgé. Son cheminement vers la déconstruction de l’espace et la représentation simultanée de plusieurs facettes de ses modèles trouvent un nouveau souffle, encore plus conceptuel et bien plus coloré. Dans certaines esquisses préparatoires, on retrouve des portraits qui se situent à la frontière de la représentation formelle.

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Pablo Picasso, Nu couché,   1932 © RMN-Grand Palais – Succession Picasso

Femmes, je vous aime

Visages, cous et bras se trouvent limités à de stricts cônes, des sphères pleines, des formes géométriques qui sollicitent notre imagination, notre sens de la perception, plutôt que notre désir de retrouver le réel que nous ne connaissons que trop bien. En toute logique, le visiteur est accueilli dans le parcours par les fameux bustes en plâtre de figures féminines, aux doux yeux de la forme d’amandes et arborant un fort nez busqué, situé dans la directe continuité du front. Aux murs, des toiles aux coloris chauds, réconfortants.

Mais d’où peut bien provenir ce nouveau souffle que l’on perçoit sans tarder dans la productivité de Pablo Picasso ? Autour de lui, il y a bien sûr le silence, les paysages superbes, son épouse Olga qui le soutient et prend soin de la propriété. La source de ce renouveau est cependant à chercher ailleurs, loin de la verte Normandie.

Picasso s’installa en 1930 à Boisgeloup mais depuis 1927, une nouvelle figure féminine hante ses jours et ses dessins. Cette femme, c’est Marie-Thérèse Walter, jeune adolescente de dix-sept ans que l’artiste rencontra par hasard dans Paris. Subjugué par la beauté de la jeune femme, il ne tarda pas à lui demander de poser pour lui et très vite, ils devinrent amants.

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Pablo Picasso, Femme au Fauteuil rouge,  1932 © Succession Picasso – RMN-Grand Palais

Sexualité et cubisme

Marie-Thérèse vint-elle un jour au château normand de Picasso ? Olga était-elle pleinement au courant de cette idylle ? On ne le saura jamais avec certitude mais dans les deux cas, de fortes suspicions sont présentes. Toujours est-il que la jeune fille est omniprésente, partout dans le parcours. Dans les formes féminines qui représentent immanquablement ses traits, dans les nus féminins couchés aux fins cheveux blonds, dans la représentation obsessionnelle du Minotaure par Picasso, créature puissante, lubrique et virile qui dénote une forte portée sexuelle.

Quelles que soient les étapes thématiques abordées par le parcours du Musée des Beaux-Arts de Rouen, Marie-Thérèse est présente, inévitablement ; elle hante Picasso. Le parcours est donc une réussite, très intéressante, bien menée, qui vaut le coup d’œil !

Retrouvez dans l’Encyclo : Pablo Picasso

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