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“Tintamarre !”, la réjouissante expo du musée des impressionnismes de Giverny

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Le musée des impressionnismes de Giverny aborde dans sa nouvelle exposition une thématique aussi joyeuse qu’elle est inédite, celle de la représentation des instruments de musique dans l’art de la fin du XIXe siècle au début du XXe siècle. Manet, Degas, Caillebotte, Renoir ou encore Bonnard, nombreux sont les artistes de l’époque à s’être inspirés du dynamisme de la vie musicale, à l’heure où celle-ci devint le centre de tous les divertissements. 
James McNeil Whistler

James McNeil Whistler, Au piano, 1858–1859 © Cincinnati, Taft Museum of Art

Depuis Léonard de Vinci, la peinture et la musique sont considérées comme les « arts sœurs » ; l’un serait l’art de l’espace tandis que l’autre, l’art du temps. Les liens entre musique et peinture sont particulièrement étroits pendant le Second Empire, là où l’enseignement de la peinture va de pair avec l’enseignement musical, essentiellement dans les milieux bourgeois. Les instruments récemment modernisés deviennent plus accessibles, le piano fait son entrée dans le mobilier des ateliers d’artistes, tandis que la fréquentation de l’Opéra autant que des cafés concerts se généralise, et devient emblématique de la vie moderne.

C’est ce foisonnement qu’a souhaité mettre en lumière la nouvelle exposition du musée des impressionnismes de Giverny, à travers un parcours thématique composé d’une centaine de pièces, de peintures, de dessins, d’illustrations et de lithographies, qui témoignent de la manière dont la musique a pu toucher les artistes-peintres tant dans leur quotidien que dans leur œuvre.

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Jean Béraud, Valmy et Léa, vers 1885–1895 © Cleveland, The Cleveland Museum of Art

C’est d’abord à travers la notion du divertissement que débute le parcours de l’exposition. La fin du XIXe siècle voit éclore un engouement particulièrement foisonnant autour de la musique : les artistes de rue entrent dans les cours d’immeubles haussmanniens afin de récolter quelques pièces, les fanfares se multiplient, les cafés concerts ouvrent à un rythme effréné partout dans la capitale ; du Café des Ambassadeurs aux très réputées « Folies Bergères ». Les peintres ne tarderont pas à s’inspirer de ces scènes populaires et vibrantes, illustrant La Musique de la Garde républicaine au Luxembourg (1887) pour Gustave Boutet, le Cirque forain de Bretagne (1898) pour Lucien Simon ou bien des scènes de bals mondains, comme en témoigne Trop tôt (1873), une œuvre réalisée par James Tissot.

Cette époque voit aussi l’instrument de musique entrer dans la sphère intime et les salons privés. Plus accessible d’un point de vue financier, on passe d’un objet autrefois considéré comme luxueux et inaccessible à un objet dont la facture devient standardisée et la production massive. Les cours particuliers de musique deviennent de rigueur, comme le montre la charmante Leçon de piano de Caillebotte, datée de 1881. Evitant les associations douteuses liées à cette thématique, Caillebotte se concentre sur la profonde application des deux femmes, renouant avec son goût pour la musique et la modernité.

MMT181506 The Piano Lesson, 1881 (oil on canvas) by Caillebotte, Gustave (1848-94); 81x65 cm; Musee Marmottan Monet, Paris, France; Giraudon; French, out of copyright

Gustave Caillebotte, La Leçon de piano, 1881 © Paris, musée Marmottan-Monet

D’autres artistes affichent quant à eux le badinage amoureux, autrefois indissociable des scènes liées aux leçons de piano. Aussi, une légère charge érotique sous-tend bon nombre de représentations, comme vient l’illustrer René Prinet dans La Sonate à Kreutzer (1901) ; dont le titre est tiré de la sonate pour violon et piano de Beethoven, et de la sulfureuse nouvelle publiée par Tolstoï. Le tableau devient particulièrement célèbre dans les années 1940 alors que son propriétaire, Javier Serra, l’utilise comme publicité pour le lancement de son nouveau parfum au nom évocateur, « Tabu »…

La suite du parcours projette le visiteur dans des scènes d’extérieur, avec Paul Gauguin et sa représentation de scènes musicales que l’on pourrait aujourd’hui qualifier de « folklorique », mettant en scène un joueur de bombarde, instrument traditionnel breton, juché sur une falaise. L’approche synthétise ici deux sons : celui de l’instrument et celui de l’Océan, les vagues se brisant sur la falaise à marée haute. Gauguin intègre ainsi visuellement et de façon sonore l’homme dans la nature. L’on retrouve également le motif du guitariste espagnol, objet de tous les fantasmes dans les milieux artistiques de l’époque, popularisé par Edouard Manet.

IMA229055 The Flageolet Player on the Cliff, 1889 (oil on canvas) by Gauguin, Paul (1848-1903); 70.9x91.2 cm; Indianapolis Museum of Art, USA; Samuel Josefowitz Collection of the School of Pont Aven; PERMISSION REQUIRED FOR NON EDITORIAL USAGE; French, out of copyright PLEASE NOTE: Bridgeman Images works with the owner of this image to clear permission. If you wish to reproduce this image, please inform us so we can clear permission for you.

Paul Gauguin, Le Joueur de flageolet, 1889 © Indianapolis, Indianapolis Museum of Art

Si la recherche de rapprochements entre peinture et musique connaît en cette fin de XIXe siècle un nouvel élan, c’est aussi parce que les relations sont nombreuses entre peintres et instrumentistes ou compositeurs ; quand ce n’est pas directement les peintres qui se font musiciens, comme Eva Gonzalès au piano, peinte par Alfred Stevens, ou Lucie Cousturier, également représentée au piano par Maximilien Luce. Ces convergences sont le dernier chapitre dévoilé dans le parcours de l’exposition, et elles sont nombreuses.

Chez les Degas, le père, Auguste, est un mélomane passionné qui organise chaque lundi des réceptions musicales au cœur de son appartement ; l’unique portrait qu’en a laissé son fils Edgar le montre auréolé d’une partition. Chez les Manet, Edouard épouse un professeur de piano, Suzanne Leenhof. Une « très grande artiste » selon les termes de Baudelaire, que la musique de Suzanne apaisa sur son lit de mort en  1867 ; Manet la représentera les mains sur le clavier, absorbée par l’exercice. Enfin, le compositeur Claude Terrasse devenu célèbre pour ses opérettes belle-époque est fiancé à l’excellente pianiste Andrée Bonnard, qui n’est autre que la sœur de Pierre Bonnard.

Aussi l’exposition souligne ces nombreux exemples de cohabitation fructueuse entre peinture et musique, accompagnée d’une section dédiée aux arts graphiques dont Félix Valloton est l’un des plus éminents spécialistes. Illustrations de partitions par Pierre Bonnard, affiches signées Henri de Toulouse-Lautrec, les dessins de presse et les lithographies offrent ainsi aux artistes une occasion rêvée d’accéder à un large public, tout en manifestant leur amour évident pour la musique.

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