Article proposé par Exponaute

Le Louvre Lens mène l’enquête sur le mystère des frères Le Nain

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Antoine, Louis et Mathieu Le Nain, tous trois originaires de Laon, tous trois frères et tous trois peintres, travaillant dans le même atelier. Voilà qui est succinct, mais en s’autorisant d’exagérer quelque peu, on peut dire que c’est là à peu près tout ce que l’Histoire de l’art sait précisément sur ce trio de peintres. Aujourd’hui, il ne reste que 75 formellement authentifiés comme de la main des énigmatiques frères, alors que leur production de leur vivant fut estimée à un millier de toiles ! Ce printemps, le Louvre Lens dédie un parcours absolument passionnant au mystère qui entoure la fratrie Le Nain.
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Louis Le Nain, Vénus dans la forge de Bacchus, 1641 © Musée des Beaux-Arts de Reims

D’emblée, le nouveau parcours du Musée du Louvre Lens nous est présenté comme exceptionnel. L’adjectif se comprend : cela faisait presque quarante ans (trente-huit, pour être tout à fait exact) qu’un musée français n’avait plus dédié d’exposition temporaire au trio de frères artistes. Le défi était donc de taille pour l’institution du Nord de la France.

Comment apporter un regard neuf, inédit, sur un trio de peintres dont on sait très peu de choses ? Heureusement, depuis le dernier événement qui leur fut consacré en 1978, des recherches nouvelles ont été menées, mais certaines pièces ont aussi été réattribuées à d’autres peintres… Ce qui a amené le musée à opter pour un cheminement stylistique et ce, bien que certaines attributions soient encore le sujet de débats houleux. Mais pourquoi autant de discussions sur ces tableaux ? Et pourquoi parle-t-on de « mystère  Le Nain » ?

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Louis Le Nain, Bacchus et Ariane, vers 1635 © Musée des Beaux-Arts d’Orléans

L’énigme

L’introduction de l’exposition nous présente rapidement les faits : Antoine, Louis et Mathieu œuvrèrent toute leur vie au sein du même atelier, leurs styles étaient similaires au point de se confondre, d’autant qu’ils signaient (lorsqu’ils signaient leurs tableaux…) de leur seul patronyme « Lenain ».

Des prénoms, aucune trace. Il ne restait plus aux historiens de l’art qu’à s’arracher les cheveux pendant les siècles à venir pour savoir à quelle main attribuer quelle toile… Si la fratrie Le Nain tomba dans l’oubli après la mort de ses membres, celle-ci fut heureusement redécouverte par le critique d’art et journaliste du XIXe siècle Champfleury (lui aussi originaire de Laon, dans le Nord de la France) et de nos jours, Antoine, Mathieu et Louis Le Nain sont justement considérés comme faisant partie des plus éminents représentants de la peinture française du XVIIIe siècle.

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Louis et Mathieu Le Nain, Triple Portrait, vers 1646–1648 © National Gallery, Londres

Le vide

Pourtant, il ne reste que peu de toiles signées par les maîtres, puisque seulement 75 œuvres de la fratrie sont parvenues à traverser les siècles. Les historiens de l’art estiment que près de 90% de leur production est aujourd’hui perdue, même s’il ne faut jamais perdre espoir d’une redécouverte fortuite (comme ce fut le cas en 1999 lorsqu’une huile sur toile signée Le Nain fut retrouvée dans un… grenier de Lorraine).

Et sur les 75 pièces, cinquante-cinq ont été réunies par le Louvre Lens qui espère ainsi marquer d’une pierre blanche l’histoire de la recherche sur ces artistes énigmatiques. Leur production est complexe, variée, parfois inégale dans la précision d’exécution, mais vaut indubitablement le coup d’œil.

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Louis Le Nain, Saint Jérôme, 1643 © Collection particulière

Le Ciel

Dans la première moitié de l’exposition, la part belle est laissée aux œuvres à caractère religieux. Des trois peintres, c’est Mathieu qui s’est le plus illustré dans cette discipline, prouvant sa maestria grâce à des compositions de belle taille, parfois dans des teintes clair obscures qui révèlent une forte influence du Caravage. On retiendra tout particulièrement l’œuvre intitulée Le reniement de Saint Pierre, datée aux alentours de 1655 et conservé au Louvre.

Trois protagonistes entourent l’apôtre très âgé, la barbe et la chevelure blanche. D’une gestuelle contrite, il se détourne du Christ, comme celui-ci l’avait prédit : « Avant que le coq chante aujourd’hui, tu m’auras renié trois fois ». Enfin, la dernière partie de l’exposition trace un grand point d’interrogation, auquel les visiteurs du parcours sont invités à répondre.

L’huile sur toile Le Christ chez Marthe et Marie réalisée entre 1655 et 1660 est-elle bien de la main de Mathieu Le Nain ? Les couleurs, la touche fine, les coups de brosse correspondent-ils au membre de la mystérieuse fratrie ? Aucune réponse définitive ne sera, bien sûr, donnée par le Louvre Lens puisque là n’est pas son rôle : c’est au tour du public de revêtir la casquette d’enquêteur.

La Terre

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Louis Le Nain, Famille de paysans, vers 1642 © RMN – Musée du Louvre

Mais la plus belle étape de l’exposition s’avère sans conteste celle consacrée à Louis Le Nain qui, au cours de sa carrière, focalisa une grande partie de sa production sur la représentation de scènes paysannes. Là où Antoine se concentra sur les miniatures et les groupes et Mathieu sur les sujets religieux ou d’inspiration caravagesque, Louis fit très vite montre d’un intérêt sincère pour les petites gens : paysans, agriculteurs, éleveurs…

Les œuvres La Forge, Famille de paysans ou encore L’âne témoignent de ce regard presque réaliste si on nous accorde l’anachronisme. Les intérieurs modestes des membres des classes les plus pauvres sont figurés sans façon, ni exagération ni embellissement, mais simplement tels qu’ils sont : proprets, modestes, plutôt sombres et éclairés par de rares fenêtre ou par un âtre constamment allumé. Louis ne recherche par le pathos, il ne dote pas non plus ses tableaux d’une quelconque revendication sociale ou politique ; son intérêt est tout autre.

C’est là seulement le regard d’un homme curieux des femmes et des hommes qui peuplent sa région d’origine. Il leur rend hommage avec beaucoup de grâce et de pudeur. L’exposition « Le Mystère Le Nain » est donc une nouvelle réussite pour le Louvre Lens, que nous vous conseillons chaudement !

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