Article proposé par Exponaute
Ville emblématique de l’esprit « West Coast », la cité des anges est porteuse de mythes et incarne le rêve américain pour des millions de personnes, partout dans le monde. Sa scène artistique bouillonnante et énergique s’impose ces dernières années comme une alternative à New-York. Ville de tous les clichés avec ses plages, son climat, son industrie du divertissement et du cinéma, le paysage et l’imagerie que l’on associe à Los Angeles brouillent quelque peu les pistes entre réalité et fiction.
Seulement 2% de la population de la ville travaille chaque jour pour l’industrie de « l’entertainment », aussi le reste de la ville est confronté aux mêmes problématiques sociales que partout ailleurs, de l’immigration, du racisme, de la quête identitaire, avec ses grands écarts entre splendeur et misère. C’est cette dichotomie que l’exposition proposée par le Mac Lyon propose d’interroger.
Pour cela, le comité curatorial composé de six personnes (3 commissaires d’exposition, Thierry Raspail, Gunnar B. Kvaran et Nicolas Garait-Leavenworth et 3 conseillers, Hans Ulrich Obrist, Ali Subotnik et Alex Israel) a décidé d’aller au-delà des arts visuels en proposant d’allier aux œuvres plastiques la scène littéraire. Partie intégrante de l’exposition, l’ensemble d’extraits de récits de 84 écrivains liés à la ville, des romanciers, des poètes, des essayistes reconnus et émergents (Joan Didion, Mike Davis, Chris Kraus) viennent souligner le caractère fictionnel de l’exposition.
Ce n’est ni un parcours chronologique, ni un parcours thématique, mais plutôt un cheminement autour des grands enjeux sociaux, politiques et culturels de la ville, son artificialité et les récits autour des grands mythes qui l’entourent que les artistes sélectionnés (au nombre de 34), viennent questionner. La « machine à fictions » qu’est Los Angeles est tour à tour contestée ou magnifiée, la légèreté apparente se fait tragique tandis que la surface des choses prend soudainement de l’ampleur. Les œuvres d’artistes mondialement reconnus comme David Hockney, John Baldessari, Ed Rusha, Paul Mc Carthy dialoguent avec la scène émergente, permettant de parcourir l’histoire de la ville depuis les années 60 à aujourd’hui.
La rencontre entre le britannique David Hockney et la ville de Los Angeles en 1963 a un impact décisif sur son œuvre : les bains, les piscines, les intérieurs extravagants, la culture visuelle de Los Angeles devient le terreau d’inspiration d’Hockney ; une découverte qui lui inspira Two Men in a Shower, alors que l’interaction entre l’eau, le corps et l’architecture deviennent les motifs centraux de son travail. Hockney dépeint un mode de vie sans problème apparent, dresse une chronique de ce que l’on imagine être « les gens heureux » et anonymes. Un quotidien aussi représenté dans l’œuvre de Jonas Wood, qui plonge le visiteur dans l’univers feutré des intérieurs de la classe moyenne californienne, peuplé de références au mode de vie de la culture populaire, liée au sport et à l’histoire de l’art, de l’Open tennis à Pablo Picasso.
Dès les années 80, une grande partie de l’art américain est sensible aux politiques identitaires, aux questions de genre et à la sexualité. Catherine Opie dévoile une série de treize photographies dont six sont regroupées dans le parcours de l’exposition, mettant en scène des portraits de femmes du club homosexuel de Los Angeles. Par le biais du médium photographique Catherine Opie illustre la diversité des identités de la Californie du Sud, offre le témoignage d’une société en quête d’identité, entre tabous et injustices sociales.
Quant à John Baldessari, figure illustre de la scène artistique de la côte ouest, son œuvre intitulée Space Between : Glad Hands offre une vision satirique du pouvoir. Des hommes en costume se serrent la main, accompagnés d’un chimpanzé et d’un chien, décrivant la façon dont les hommes politiques tâchent de dissimuler un certain « instinct animal » par une attitude conviviale et décontractée, dans le but d’inspirer confiance.
Lorsqu’il commence ses premières vidéos performatives, Paul Mc Carthy s’intéresse au sensationnalisme et au culte quasi-fanatique de la célébrité. Dans « Rocky », l’artiste exécute des gestes obscènes, des actions étranges (il se recouvre le corps de nourriture et se donne des coups de poings dans le visage avec des gants de boxe, en référence évidente avec le film éponyme) ; l’œuvre fait allusion à la glorification de la violence inhérente à la culture d’Hollywood, et au mythe du conflit intérieur de l’artiste. Un peu plus loin dans le parcours de l’exposition, l’artiste s’inspire de l’œuvre Michael Jackson and Bubbles de Jeff Koons pour créer une série de sculptures parodiant les aspects les plus sombres du « roi de la pop », a contrario de l’œuvre de Koons qui glorifie la starisation.
D’autres artistes comme Ed Rusha se sont intéressés à l’industrie du divertissement. Conçu à la manière d’un panneau d’affichage publicitaire, The Back of Hollywood montre sans la décrire l’autre face de la ville ; le clinquant n’existe plus, seul le soleil couchant demeure. Une seconde œuvre d’Ed Rusha réalisée dans les années 90 reprend les célèbres lettres d’Hollywood mais dans une teinte plus sombre, où les nuances de gris semblent incarner la pollution qui voile peu à peu le spectacle. Traitant aussi de cette autre face du spectacle Hollywoodien, le photographe John Divola capture dans ses clichés les intérieurs miteux et délabrés de maisons de bords de mer abandonnées, dont les fissures laissent entrevoir les rayons du soleil couchant.
A travers une série de portraits et une installation monumentale constituée de chaises, de parpaings et de bâtons, l’artiste Henry Taylor évoque les oublis de l’histoire afro-américaine, longtemps exclus de toute forme de représentation.
Entre réalité contemporaine et imaginaire fantasmé, Los Angeles : Une fiction explore l’histoire de la cité californienne à travers le regard de 34 artistes et de 84 écrivains. « Il y a une ambiguïté entre le mythe et la réalité. Il n’y a pas qu’Hollywood et ses quartiers chics liés à l’industrie du cinéma. On a redécouvert la mixité sociale, les problèmes de racisme, la pauvreté et l’immigration », explique le commissaire Gunnar B. Kvaran. Aussi l’exposition offre une immersion totale au cœur d’une ville bouillonnante et créative, où les œuvres et les mots jouent la connivence pour interroger le mythe.
Vous aimerez aussi
Carnets d’exposition, hors-série, catalogues, albums, encyclopédies, anthologies, monographies d’artistes, beaux livres...
Visiter la boutique