Article proposé par Exponaute
Lorsque l’on parcourt les couloirs de la nouvelle exposition du Musée du Luxembourg, on ne peut s’empêcher de penser au chef-d’œuvre de l’écrivain américain Henry David Thoreau : Walden, or life in the woods. Même si les situations ne sont pas véritablement similaires, l’écrivain et pionnier de l’écologie et le peintre impressionniste ont en vérité beaucoup en commun. Chacun, arrivé à un tournant de sa vie, chercha à mener une existence plus en adéquation avec la terre, désireux d’une vie saine et en quête d’authenticité véritable, loin de la foule déchaînée.
Cette utopie dont il rêvait depuis tant d’années, Camille Pissarro la découvrit dans le petit village d’Éragny, où il commença par louer une maison de campagne dans laquelle il pouvait loger sa compagne et leurs huit enfants. Huit ans plus tard, Claude Monet avança une somme d’argent à son ami Pissarro, permettant aux premiers des impressionnistes de s’installer définitivement à Éragny, tout en le délestant de frais de locations importants.
La maison de la famille Pissarro avait cet avantage d’offrir une vue magnifiquement dégagée sur la campagne. Au fil des saisons, ces paysages se meuvent, revêtent différents visages, offrent au peintre toute la matière changeante nécessaires à raviver son inspiration et à peine installé à Éragny, il se mit au travail avec l’entrain du renouveau. Et le regard plein d’étonnement, nous parcourons à travers l’art les vingt dernières années de la vie du maître, en constatant avec bonheur qu’il ne se lassa jamais de son petit coin de paradis.
Ces prés, ces champs, ces vallons qu’il parcourut des milliers de fois, il les redécouvrait chaque jour, le chevalet planté devant lui et la palette recouverte de teintes éclatantes. Infatigable malgré son grand âge, entouré d’une famille aimante et le soutenant dans toutes ses entreprises, l’impressionniste a peint son Eden avec un amour prégnant de la nature et des beautés de ce monde. Ses paysages, qu’ils soient recouverts d’un épais manteau de neige ou égayés par les teintes chamarrées de l’été, nous offrent des cadeaux esthétiques qu’on s’empresse d’admirer via la touche de Pissarro.
Et lorsque celui-ci tourna son travail vers la figuration du monde paysan, on ne trouve pas la peine compassée ou la misère manifeste d’un Jean-François Millet ou d’un Vincent van Gogh. On ne sent pas crisser la terre sèche sous leurs pas, on n’observe pas leurs visages striés de rides comme leurs champs sont balafrés par la charrue. Chez Pissarro, le monde paysan est l’occasion de peindre un univers bucolique, peut-être parfois naïf dans ses représentations, mais tellement attachant.
Les femmes baignent leurs pieds en fin de journée dans le cours rafraîchissant d’un ruisseau, un homme apprécie les premières chaleurs du printemps en levant son visage vers le ciel, pour qu’il soit baigné de lumière. Pissarro était si fasciné par cet univers de labeur mais aussi de plaisirs simples qu’il lui consacra non seulement de nombreuses toiles, mais aussi une série de gravures réalisée en étroite collaboration avec son fils, dans l’optique d’une publication que Pissarro, disparu trop tôt, ne verra pas achevée.
Dans le Mercure de France de février 1901, le poète belge Émile Verhaeren avait écrit au sujet de l’œuvre de l’impressionniste : « Voici la vraie campagne, celle dont le peintre nous a parlé, jadis, comme personne. » Cette exposition du Musée du Luxembourg, en plus de nous révéler plusieurs facettes méconnues de l’artiste que nous ne pouvons détailler ici faute de place (l’imprimerie, la gavure …), nous offre un magnifique panorama des deux dernières décennies de l’existence de Camille Pissarro.
Les tableaux accrochés pour l’occasion, émouvants et brillants d’inventivité, prouvent que l’on n’épuise jamais vraiment le potentiel artistique d’un sujet, même banal, même observé tout au long de sa vie, même présent sur le pas de sa porte. Cette exposition est aussi, de ce fait, une fête du ravissement, un appel à voir la beauté où elle se trouve, c’est-à-dire potentiellement partout.
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