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21 rue La Boétie : la fascinante histoire de Paul Rosenberg au musée Maillol

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D’abord présentée en Belgique, la nouvelle exposition accueillie par le musée Maillol adaptée par Culturespaces raconte l’histoire fascinante de l’un des plus grands marchands d’art du XXe siècle, Paul Rosenberg. Le « 21 rue La Boétie » est d’abord l’adresse d’une galerie d’art. Il deviendra le titre d’un livre écrit en hommage à Rosenberg par sa petite-fille, la journaliste Anne Sinclair. Aujourd’hui, « 21 rue La Boétie » devient une exposition poignante, au croisement du destin d’un homme à celui de l’Histoire collective.
13.PAUL ROSENBERG tableau Renoir et Somerset Maugham

 Paul Rosenberg tableau Renoir et Somerset Maugham © Archives Paul Rosenberg & Co, New York

Fils d’antiquaire, Paul Rosenberg et son frère Léonce commencent leur carrière au service de leur père au sein de sa galerie de l’avenue de l’Opéra, à Paris. Ce n’est que quelques années plus tard que chacun d’eux ouvrent leur propre espace. L’un, Léonce, deviendra le « grand marchand des cubistes » ; tandis que Paul se révélera comme le promoteur infatigable de l’art moderne. C’est plongé dans cette histoire familiale que l’exposition débute, mettant en lumière deux œuvres importantes de Pablo Picasso, avec qui très tôt Paul Rosenberg noue des liens tant professionnels qu’amicaux.

21 rue La Boétie

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Vue de l’escalier au 21, rue La Boétie, années 30 © Archives Paul Rosenberg & Co, New York

L’exposition nous projette ensuite dans l’espace de la galerie que Paul Rosenberg ouvre en 1910, au 21, rue La Boétie. On y découvre comment était aménagée cette dernière, avec la particularité de reconstituer des intérieurs bourgeois, mettant en scène des combinaisons étonnantes pour l’époque. Paul Rosenberg fut l’un des premiers marchands d’art à vendre Van Gogh. La galerie était constituée de deux étages : au premier l’on y montrait l’art moderne, tandis que le second était réservé aux œuvres impressionnistes. Rosenberg avait pour habitude de faire monter ses amis et collectionneurs encore réticents à l’art moderne au second étage, une manière astucieuse de rassurer les plus conservateurs d’entre eux.

Il gérait son affaire de manière très méticuleuse avec des moyens modernes, notamment grâce au classements de fiches d’œuvres (près de 4 500) très détaillées dont on en découvre quelques exemplaires dans la suite de l’exposition. (Ce fichier fut par la suite pris par les allemands, puis par les russes, avant d’être restitué à la famille à New-York). Paul Rosenberg a aussi su très vite développer un large réseau de collectionneurs et de clients privés, et attirer l’attention des américains, alors qu’il se rendait quelques fois aux Etats-Unis dans le cadre de conférences et d’expositions.

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Henri Matisse, La leçon de piano, 1923, Collection particulière. © Succession H. Matisse

Son rythme d’activité était de ce que l’on peut qualifier « d’effréné », entre 1936 et 1937, il présentera une exposition par mois aux noms des plus retentissants, George Braque en janvier, Seurat en février, Picasso en mars, Monet en avril, Matisse en mai… La vaste salle qui suit rassemble quelques-unes des œuvres phares des artistes « choyés » par Rosenberg, (parmi la quarantaine d’artistes qui ont transité en ses lieux), dont Matisse, Braque, Laurencin et bien sûr Picasso, auprès de qui le galeriste se montra pressant à l’occasion de l’organisation d’une grande exposition nécessitant la présence de plusieurs « Arlequins ». Ces personnages étaient à ce moment très convoités, à l’heure des Ballets Russes et du bouillonnement culturel parisien de l’époque, où les arts de la scène, la création de décors, la création de costumes et la peinture participaient tous de cette symbiose de l’avant-garde.

Quand l’histoire d’un individu rencontre l’histoire collective

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Alfred Höhn, Junge Frau (Jeune femme)  © Deutsches Historisches Museum, Collection Hausder Deutschen Kunst, Berlin / © Photo : I. Desnica
Or suite à l’âge d’or des affaires du galeriste et du 21, rue La Boétie, s’ensuit une période beaucoup plus sombre. Là, on passe de l’histoire individuelle à l’histoire collective, la « Grande histoire », celle de l’arrivée au pouvoir d’Hitler en 1933, du péril nazi qui envahit l’Allemagne, puis la France occupée et bientôt l’Europe ;  et de sa volonté d’éradiquer ce que les nazis ont appelé « l’art dégénéré », si loin de l’art académique qui célébrait mieux, à leur goût, la grande Allemagne.

La suite de l’exposition traite de la purge des musées allemands voulue par la propagande nazie, où en six mois de temps, des commandos ont été envoyés dans tous les musées d’Allemagne afin de les vider d’œuvres ne correspondant pas à leurs critères. Entre 16 000 et 20 000 œuvres sont décrochées, puis vendues à des prix dérisoires, ou détruites. L’autre volonté de la propagande illustrée dans l’exposition est le développement de grandes expositions visant à la promotion de l’art allemand, chaque année.

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Georges Braque, Nu couché, 1935, Huile sur toile, 114,3 × 195,6 cm, Collection David Nahmad, Monaco © ADAGP, Paris 2016/ © Photo: Collection David Nahmad, Monaco
La première intitulée « Grande exposition de l’art allemand » est montrée à Munich pour la première fois en 1937, elle rassemble des centaines d’artistes, aux thèmes évoquant la vie rurale, la virilité, la pureté maternelle et la puissance militaire ; Hitler a lui-même acquis plusieurs de ces toiles, présentées dans l’exposition.

Dans un même temps se tenait une autre exposition consacrée quant à elle à « l’art dégénéré », aussi à Munich. Elle aura voyagé dans douze villes, aura été vue par plus de 3,2 millions de visiteurs, une audience considérable, et pourtant « interdite aux jeunes ». Là, chaque cartel affichait la date et le prix des œuvres complété de la mention « payé par les impôts du peuple allemand ». L’opération visait à discréditer l’ensemble des représentants de l’art moderne dont Paul Rosenberg faisait partie.

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Alfred Sisley, La route de Versailles, 1875, Musée d’Orsay, Paris © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay), Hervé Lewandowski
En 1940 Paul Rosenberg se réfugie avec les siens et disperse ses œuvres, enregistrées sous un autre nom afin de les préserver de la convoitise. Dénoncé par un confrère parisien, elles sont malgré tout retrouvées par les allemands. Pillée la même année sur ordre de l’ambassadeur du Reich, le 41 rue de La Boétie devient le tout nouvel institut d’études des questions juives, qui conçut et organisa une propagande violente au profit direct de la gestapo. Alors réfugié aux Etats-Unis, Paul Rosenberg sera déchu deux ans plus tard de sa nationalité française. Une nouvelle à laquelle il n’ose croire, comme tant d’autres individus ayant subi le même sort.

C’est ainsi que le Vieux continent se vide peu à peu de ses élites, dont Paul Rosenberg, pour s’installer de l’autre côté de l’Atlantique. Bénéficiant d’un important réseeau à New-York débuté dans les années d’avant-guerre, Paul Rausenberg ouvre une nouvelle galerie sur la 57e avenue. Il continue d’y présenter des artistes modernes, s’intéresse à l’œuvre de Jean Hélion et signe un contrat d’exclusivité avec Nicolas de Staël ; en 1958 il est à l’initiative d’une exposition itinérante sur l’œuvre d’Aristide Maillol.

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Marie Laurencin (1883–1956), Anne Sinclair à l’âge de quatre ans, 1952, Huile sur toile, 27 × 22 cm, Collection particulière © Fondation Foujita / ADAGP, Paris, 2016
A la Libération s’ensuit le combat pour la restitution des œuvres, une histoire à rebondissements encore aujourd’hui inachevée puisque de nombreuses œuvres restent introuvables, ou réapparaissent périodiquement au hasard de l’actualité (comme La femme assise de Matisse retrouvée en 2012). Rosenberg ne rouvrira pas de galerie à Paris. A son décès en 1959, son fils Alexandre reprend les rênes de la galerie au 20 East 79th Street à New-York, où Paul avait déménagé en 1953.

Spectateur impuissant de la barbarie, exilé, puis dépouillé, Rosenberg a été le témoin d’un moment charnière de l’histoire de l’art du XXe siècle ; ce moment de déplacement du centre de gravité du marché de l’art de l’Europe vers les Etats-Unis, de même qu’il eut un rôle majeur dans un combat encore non-résolu, celui de la récupération des œuvres spoliées.

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