Article proposé par Exponaute

Venise et l’art de la fête, au Musée Cognacq-Jay

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Jusqu’au 25 juin prochain, le musée Cognacq-Jay à Paris vous propose de revêtir vos plus beaux loups, passer vos masques les plus sophistiqués, et d’entrer dans un tourbillon de fêtes et de réjouissances. Car sa nouvelle exposition temporaire se consacre justement à cette thématique : les festivités, mais pas n’importe lesquelles, puisque ce sont les fêtes de Venise au XVIIIe siècle dont il sera question. Luxe, opulence, folie et spectacle sont donc à l’ordre du jour, pour une plongée dans l’ultime âge d’or de la Sérénissime…
02_Pietro Longhi_ Le Charlatan

Pietro Longhi, Le Charlatan, vers 1757 © Fondation Bemberg

Admirer des œuvres de Pietro Longhi est toujours un réel bonheur. Si celles accrochées dans la nouvelle exposition temporaire du Musée Cognacq-Jay sont de taille modeste, il n’en demeure pas moins qu’elles nous emportent avec elles, via leurs couleurs vibrantes, la gestuelle gracieuse des personnages et leur discours souvent un brin moqueur vis-à-vis d’une époque luxueuse mais qui n’en est pas pour autant dénuée de vice.

Bienvenue dans la Venise du XVIIIe siècle, ville de paradoxes, qui cultive ses éclats éblouissants comme ses sentines les plus sombres. Des contradictions qui sont parfaitement illustrées dans le parcours temporaire du petit musée parisien, qui nous en apprend beaucoup sur cette ville si célèbre et qui a tant brillé dans l’Histoire européenne, depuis sa fondation, au Ve siècle de notre ère.

11_Lorenzo Tiepolo_ Femme au masque

Lorenzo Tiepolo, Femme au masque, vers 1760 © Enrique Frascione Antiquario

C’est pourtant de l’ultime période de faste connue par la ville que va parler le Musée Cognacq-Jay dans ce parcours. Si les richesses ne sont plus aussi éclatantes que par le passé, la Cité des Doges brille toujours en Europe par sa stabilité politique et économique. Une tranquillité sociale qui a permis à la ville de développer un dernier âge d’or, comme un ultime soubresaut dont tous avaient conscience et dont il était, en toute logique, urgent de profiter. Toute occasion était bonne à saisir pour danser, chanter et écouter de la musique.

Il y avait bien sûr les festivités traditionnelles (saints, fêtes chrétiennes, entrées princières…) mais en vérité, toute occasion était bonne à saisir pour célébrer les plaisirs de l’instant. Des fêtes privées, appelées casino ou ridotto, offraient de nouvelles chances de se fréquenter entre membres de la haute-société tout en écoutant de la musique. Nous pouvons nous faire une idée assez précise des festivités officielles (présentation des Doges, mariages princiers) grâce aux témoignages visuels laissés par les artistes.

Ainsi, huiles sur toile et gravures nous livrent une vision assez précise des déploiements fastueux qui avaient cours lors de ces moments. On construisait des arches de bois monumentales pour l’occasion, les façades des bâtiments s’ornaient de guirlandes et de fleurs, on sortait pour voir, mais tout autant pour être vu, d’où la nécessité de se vêtir de ses plus beaux atours en cette occasion.

08_Pietro Longhi_ Le Ridotto

Pietro Longhi, Le Ridotto, vers 1757 © Museo della Fondazione Querini Stampalia

On notera, dans l’ultime salle du petit (mais très beau) parcours de Cognacq-Jay, la présence d’un superbe pastel réalisé par Lorenzeo Tiepolo intitulé sobrement Femme au masque. Le visage de la jeune femme est recouvert en partie d’un simple loup noir, mais qui fait ressortir admirablement ses grands yeux noisette comme son teint de porcelaine.

Tout autour de son visage et couvrant son cou, un voile blanc de nonne ne dévoile que peu des atours de la dame, ce qui attise d’autant plus les convoitises et la curiosité. Le masque nous renvoie évidemment à la thématique du carnaval, aujourd’hui devenu parfaitement indissociable de la cité des Doges.  Pour trouver l’origine de cette célébration, il convient de remonter jusqu’au Moyen-Âge.

Jusqu’à la fin de la République sérénissime, cette fête durait six longues semaines ! De quoi revêtir, au fil du temps, un aspect cosmopolite et mythique. Grâce aux témoignages oraux mais surtout grâce aux œuvres d’art rendant compte des festivités sans fin connues par la ville, les foules de l’Europe entière accouraient à Venise du 26 décembre jusqu’au mercredi des Cendres.

06 Francesco Guardi_le Doge de Venise porté par les gondoliers après son élection sur la place Saint-Marc

Francesco Guardi, Le Doge Alvise IV Mocenigo porté sur la place Saint-Marc, vers 1775–1777 © Musée de Grenoble

Quelques mauvaises langues pourront dire que les œuvres exposées dans ce beau parcours ne sont pas très impressionnantes, que l’exposition manque de grands noms qui donnent un effet « blockbuster » à l’exposition comme le veut la tendance en ce moment, mais est-ce vraiment nécessaire, à partir du moment où le discours est de qualité, bien construit, précis, érudit sans être cuistre, malin et accessible à tous ?

Ne peut-on apprécier, de temps à autres, de petites huiles sur toile certes réalisées par des mains peu connues mais brillantes par leurs détails et leurs couleurs éclatantes ? Courez voir « Venise en fête » au musée Cognacq-Jay, on y apprend plein de choses, certaines œuvres sont magnifiques et l’exposition est admirablement menée de bout en bout.

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