Article proposé par Exponaute
C’est un tirage de belle taille qui nous accueille à l’intérieur de l’exposition. Un noir et blanc contrasté, un grain argentique fortement prononcé ; peut-être les conditions lumineuses n’étaient-elles pas bonnes. Au loin, à perte de vue, comme un point de fuite, s’étend la place Venceslas de Prague, vide. Et devant cette étendue de bitume gris désolée, vidée de ses habitants, un poignet vient barrer la perspective, terminé par un poing serré par la détermination, la force, le courage.
Le cadran de la montre indique midi et pourtant, la ville est désespérément déserte. Il devait y avoir une manifestation contre l’oppresseur soviétique, mais un mot est passé : cette manifestation devait se terminer dans un massacre, les troupes de l’armée Rouge ayant prévu d’ouvrir le feu sur les civils. Alors personne ne vint, personne n’offrit la possibilité de verser le sang au soldat. Une première victoire populaire arrachée aux puissants. C’était en 1968.
Si cette photographie est d’une grande portée historique, elle a également changé la vie de celui qui l’a prise. Ce personnage, c’est Josef Koudelka. Photographe des bouleversements de l’est de l’Europe, il décida de quitter sa Tchécoslovaquie natale pour entrer en exil à partir de 1970. L’exil. Une notion qui va innerver l’entièreté du nouveau parcours photographique du Centre Pompidou, un chemin au hasard vers les rencontres et les expériences seulement permises par une vie de vagabondage.
Et Josef Koudelka va mener cette existence de nomade, sans port ni attache. Solitaire de nature, Koudelka n’a que peu d’amis, une famille réduite et a choisi volontairement, pendant tout de même vingt ans, d’être littéralement sans domicile fixe. Il ne loua jamais ni n’acheta, vivant avec un duvet en bandoulière. Où il reposait sa tête, au soir, était son chez-lui.
Koudelka a la botte des langues, un avantage qui lui fut très utile pendant ces longues années passées à se jeter sur les routes pavées de hasard, à boire au matin les délices des surprises et apprécier l’instant présent. Il photographia tout ce que la chance voulait bien lui prêter. Hétéroclite, sa pratique photographique est inclassable ; puisqu’il s’essaya aussi bien à la photographie de rue qu’au paysage en passant par le reportage et les séries thématiques.
Ses séries les plus fameuses d’ailleurs et qui sont les plus connues du grand public, se focalisent sur les peuples voyageurs : nomades, gitans, gens du voyage. Les avoir fréquentés longtemps aux Saintes-Maries-de-la-Mer, dans le sud de la France, aida Koudelka à tisser des liens étroits avec ces peuplades. Le voyage étant leur raison de vivre, il les suivit, il mena lui-même ces errances, pour s’imprégner du contact de la terre et de l’horizon sans fin ni but.
De ces routes traversées à pied, il tira un ouvrage aujourd’hui devenu mythique : Exils. Il fut réédité deux fois, la plus récente datant de 2014, mais le livre est très prisé des collectionneurs. D’où le double-intérêt de cet accrochage : non seulement on peut découvrir un échantillon représentatif et éloquent du travail du photographe, mais en plus, on plonge dans la genèse d’un ouvrage photographique qui s’arrache à chacune de ses réimpressions.
Comment bâtit-on un livre fondé sur des errances qui, par définition, refusent la planification, les dates, les horaires, les obligations, les responsabilités ? Les photographies répondent à ces interrogations, et on voyage en même temps que Koudelka.
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