Article proposé par Exponaute
Aujourd’hui célébré dans le monde entier, ce n’est qu’à partir des années soixante-dix que Tony Cragg s’intéresse de manière soutenue à la sculpture. Avant cela, le jeune britannique travaillait dans un laboratoire de recherches scientifique ; jusqu’à ce que son attrait pour le dessin le pousse à reprendre une formation, qu’il conclura à la Royal Academy of Arts de Londres.
C’est pendant ses années d’études que Tony Cragg découvre la sculpture, avec Henry Moore, Barbara Hepworth, puis plus tard Richard Long et les mouvements artistiques de l’époque : Arte Povera, minimalisme et Land Art. C’est pourquoi ses premiers travaux sont réalisés avec des matériaux bon marché, de récupération, ceux rejetés par l’industrie. Il procède alors par assemblage et accumulation d’objets plastiques, avant de se tourner dans les années quatre-vingt vers des matériaux plus classiques tels que le bronze, le plâtre, le bois et la pierre, ainsi que des matériaux nouveaux comme le kevlar.
Une double approche qui donnera lieu à des sculptures évoluant au fil du temps vers davantage de complexité ; en effet, Tony Cragg est à la fois passionné et curieux, une curiosité qui le pousse à expérimenter tous les matériaux imaginables en vue d’en dégager tout le potentiel symbolique et sensuel. En découle différentes familles d’œuvres, qui se ramifient puis évoluent en parallèle, donnant naissance à d’innombrables variations ; comme s’il s’agissait de différentes espèces coïncidant au sein d’un même royaume.
C’est exactement ce postulat que l’exposition du Mudam permet d’appréhender, retraçant la spectaculaire évolution de l’œuvre de l’artiste depuis les années soixante-dix à aujourd’hui. Ses premières sculptures réalisées à partir de matériaux « pauvres » qu’il amasse et empile, témoignent de la curiosité du sculpteur pour les formes naturelles, organiques, minérales et végétales. Elles côtoient ses grandes « familles » d’œuvres, les Early Forms et les Rational Beings, ses deux plus conséquentes.
Tony Cragg utilise généralement les ustensiles de laboratoires (éprouvettes, récipients, flacons) comme point de départ. En véritable expérimentateur de matière, comme le bronze dans le cas des Early Forms, Tony Cragg fait subir toutes les déformations possibles et imaginables aux matériaux : torsions, froissements, contractions ou encore étirements, si bien que les formes qui en résultent ne renvoient plus à leur usage premier et sont sans cesse renouvelées. Là est d’ailleurs l’une des plus grandes préoccupations de l’artiste chez qui la notion d’innovation est prégnante.
Dans la famille des Rational Beings Tony Cragg utilise des matériaux aussi divers que le plâtre, le bois, la pierre ou l’acier, jouant de l’attrait sensuel des surfaces et de calculs mathématiques méticuleux pour donner naissance à des formes toujours plus complexes à l’aspect organique. C’est le cas notamment des célèbres colonnes ondulantes (Points of View) de l’artiste, s’érigeant là telle une colonne vertébrale à la stabilité précaire, nécessitant la mobilité du spectateur pour être appréhendées dans toute leur subtilité, leur dynamique et leur mouvement.
« Mon expérience de la sculpture montre qu’elle est une chose incroyablement dynamique et mobile. Il y a quelque chose de très immédiat dans le fait de lire le matériau », confie l’artiste. Tout dans son œuvre plastique fait référence au mouvement, aux fluides et à l’énergie. Ce qui compte, c’est non-moins la représentation formelle de l’objet que l’émotion que celui-ci va susciter ; pour Tony Cragg, n’importe quel matériau est porteur de sens, d’idées et d’émotions.
Bon nombre de ses sculptures emploient des matériaux inhabituels et possèdent une qualité haptique qui incite le spectateur à les toucher ; néanmoins dans la conception de l’artiste (mais aussi pour des raisons purement pratiques), la meilleure façon de pénétrer le matériau reste le regard qui couplé à la pensée, lui semble beaucoup plus incisif que le contact tactile.
Dans ses travaux les plus récents, Tony Cragg use d’outils informatiques tels que la modélisation et l’image de synthèse ; là, les principes originaux des Early Forms demeurent, tandis que l’usage de ces nouveaux procédés donne naissance à des variations de récipients semblant atteindre leur point culminant.
La quête de nouvelles associations couplé à l’usage de procédés toujours plus pointus permet à Tony Cragg le développement d’un langage plastique unique et novateur. Pour lui, l’avenir de la sculpture ne fait que commencer ; son potentiel serait plus grand que jamais. Et ce qui compte peut-être le plus, c’est de faire ressurgir tout le potentiel dynamique, mouvant et émotionnel des matériaux, une quête que Tony Cragg explore brillamment à travers l’art : « L’art nous donne des images pour nos rêves, pour notre foi, pour des choses qui n’existent pas, pour des choses qui représentent nos émotions ».
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