Article proposé par Exponaute

Éli Lotar : la ville, l’homme, le détail, au Jeu de Paume

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A partir de demain, le Jeu de Paume accueille une exposition événement consacrée à l’un des monuments le l’Histoire de la photographie : Éli Lotar. En partenariat avec le Centre Pompidou, l’exposition rétrospective couvre l’étendue du talent de ce photographe majeur du siècle dernier, entre engagement social et attirances surréalistes. Visite.

Il est né en 1905 en Roumanie, mais il fit très vite de la France son pays d’adoption et de Paris sa ville de cœur qu’il ne se lassait jamais de redécouvrir, appareil photo en main. Eliazar Lotar Teodorescu, plus connu sous le pseudonyme d’Éli Lotar, ne tarda pas à s’imposer comme une des figures immanquables de l’avant-garde artistique parisienne. À travers son objectif, le photographe ne percevait pas le monde tel que nous le concevons tous. Quand on lui parlait de la tour Eiffel, Lotar voyait les boulons, les câbles et les poutrelles. Quand on évoquait avec lui une foule, il imaginait son piétinement. Quand on décrivait la beauté, il percevait une ombre fugace et floue. Le Jeu de Paume, en partenariat avec le Centre Pompidou, propose une immersion très intéressante dans cet univers unique…

Emporté par la foule

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Éli Lotar, Sans titre, 1933–1935 © Éli Lotar

Si l’on demandait à un groupe de journalistes de réaliser un reportage à la Foire de Paris, il y a fort à parier que les rédactions se retrouveraient sensiblement avec les mêmes images : des clichés de la foule, des stands, des produits proposés, de l’animation globale de cet  événement très couru de la vie de la capitale. Mais lorsqu’une telle commande arrive jusqu’aux oreilles d’Éli Lotar, il fallait s’y attendre : le photographe moderne et avant-gardiste n’allait certainement pas faire comme tout le monde !

En témoignent ces clichés exposés dans la salle du rez-de-chaussée du Jeu de Paume : une frise d’images de petit format, collées les unes à la suite des autres, à peu près au niveau de nos genoux. Pour pouvoir les admirer, il est nécessaire de s’accroupir et de les regarder en se mettant dans la peau d’un petit enfant. Pourquoi ce choix surprenant de scénographie ? Tout simplement parce que le choix de Lotar est tout aussi surprenant : le reporter s’est en effet contenté de photographier… des pieds ! Des pieds, des escarpins, des chaussures, des sandales, des talons, des chaussettes…

Ce qui a intéressé Éli Lotar lors de cette rencontre populaire, c’est la retranscription du piétinement de la foule qui se presse au sein de la foire. Il voulait montrer l’effervescence, illustrer la fréquentation, proposer une vue originale de la masse et de la difficulté pour le public de circuler. L’idée est brillante.

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Éli Lotar, Giacometti, Buste de Lotar, 1965 ©  Éli Lotar

Vision repensée

L’un des points forts de l’exposition du Jeu de Paume, c’est qu’elle remonte aux origines de la passion pour la photographie d’Éli Lotar. Comme souvent, tout partit d’une rencontre et celle-ci eut lieu entre le jeune photographe roumain fraîchement débarqué à Paris et la grande artiste Germaine Krull, dont les expérimentations modernes et surréalistes dans la photographie bâtirent sa légende.

L’influence de cette grande dame de l’image est d’ailleurs prégnante dans le travail de Lotar. Celui-ci a appris à ne plus simplement voir, il a déconstruit peu à peu son regard habituel, traditionnel, rassurant, au profit d’un sens précis du détail, du petit élément de prime abord insignifiant mais qui dit beaucoup sur la modernité de l’approche artistique du photographe de l’entre-deux guerres.

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Éli Lotar, Sans titre, 1931 © Éli Lotar

Pour ses paysages, il se contenta d’une branche d’arbre. Pour un reportage sur la construction de la digue néerlandaise dans le golfe du Zuiderzee, Lotar photographia les traces laissées sur le sable par la machinerie humaine. Pas de digue, pas de mer.  Là aussi, l’originalité fait mouche, surprend, trompe nos attentes avec brio.

Méditerranée

Il est difficile de croire que la reconnaissance de l’œuvre photographiquee d’Éli Lotar n’est arrivée que dans les années 1990. Le photographe disparu en 1969 a en effet été mis en lumière à cette époque par une rétrospective organisée au Centre Pompidou:  un accrochage qui aida le grand public comme les spécialistes de la photographie de lui rendre toute sa place aux avant-postes du mouvement moderne. Pourtant, cette modernité est bien là, brillante, éclatante, tout au long du parcours proposé par le Jeu de Paume. Comment l’avoir oubliée si longtemps ?

Une fraîcheur que le visiteur a tout le loisir d’expérimenter même lorsque le photographe se pencha sur des thématiques on ne peut plus classiques, comme la photographie de voyage. Entre 1920 et 1930, l’artiste mis en lumière par l’institution parisienne effectua plusieurs voyages dans les contrées méditerranéennes, une destination très prisée à l’époque, et pas seulement des photographes. La question s’est donc naturellement posée au photographe : parviendrait-il à rapporter des clichés originaux, encore jamais vus, qui représenteraient au mieux ses expériences auprès des populations locales ? Si la question s’est posée, la réponse fut évidente.

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Éli Lotar, Travaux d’assèchement du Zuiderzee, 1930 © Éli Lotar

Lotar a démontré toute sa sensibilité de grand artiste en photographiant avec le cœur. Des statues silencieuses, des mains tendues comme dans une offrande, des paysages nus, rendus arides par le soleil cruel du sud. Plusieurs de ses images servirent d’illustrations à des textes d’auteurs à la renommée indéniable comme Marguerite Yourcenar ou Le Corbusier ; prouvant que Lotar était reconnu de ses pairs intellectuels comme un créateur à suivre et surtout, à admirer.

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