Article proposé par Exponaute
Rendez-vous au premier étage du Musée de l’Homme. On grimpe les marches, avec une certaine hâte, car on sait déjà que la nouvelle exposition de l’institution d’ethnologie a lieu dans un espace vide qui permet aux commissaires et scénographes d’investir la pièce, de l’habiller comme de l’habiter, pour la transformer en une plongée culturelle fascinante.
Nous passons le seuil de la porte et nous voici en Terre Lafkenche, une région située aux abords de la côte du Chili, nous pouvons partir à la rencontre de la population autochtone Mapuche, nom qui signifie « Peuple de la Terre ». Une rencontre qui a été orchestrée par le Musée de l’Homme sous un angle purement esthétique.
Car si l’exposition s’appuie sur la photographie, il ne faut pas s’attendre à un accrochage classique où les clichés se suivront les uns à côté des autres, simplement espacés d’un morceau de mur blanc et d’un cartel nous livrant de précieuses informations.
Non, en entrant dans la salle d’exposition du Musée de l’Homme, nous sommes happés par la scénographie solennelle, impressionnante, adoptée pour l’occasion. D’impressionnantes bâches, reproduisant quelques photographies prises par le collectif artistique « Ritual Inhabitual », représentent des plantes mystérieuses, inconnues sur nos sols occidentaux, qui servent aux chamanes de la tribu Mapuche à soigner, aider, comprendre, entrer en transe vers une nouvelle dimension.
Sur ces bâches apposées à même les murs du musée, d’autres reproductions en jet d’encre, de plus petite taille, sont juxtaposées. Des hommes, des femmes, posant en intérieur comme en extérieur, certains tenant des instruments de musique tandis que d’autres semblent avoir revêtu leurs plus beaux vêtements pour l’occasion. Pourtant, un certain malaise s’empare de nous au moment de détailler ces portraits : pourquoi ces visages fermés ? Pourquoi ces postures raidies ? Pourquoi certaines mains sont-elles floues là où les traits demeurent parfaitement figés ?
Un rapide coup d’œil aux dernières photographies de très petit format, qui viennent clôturer ce gigantesque collage, éclaire le mystère de ces poses roides. Nous ne sommes pas là face à des images numériques ou argentiques, mais bien devant des clichés réalisés à l’aide d’une technique ancestrale : des négatifs sur verre au collodion humide.
Quelques précisions s’imposent pour éclairer ces termes un peu barbares. La technique dite du collodion humide remonte à 1851 et est attribuée à l’Anglais Frederick Scott Archer. Les photographies sont d’abord prises à la chambre noire. Une épaisse couche d’émulsion liquide est apposée sur une plaque de verre, qui est elle-même plongée dans un bain de nitrate d’argent, avant d’être transférée sur un châssis étanche à la lumière.
Les manipulations chimiques sont délicates, le transport de la chambre difficile, le temps de pose des modèles très long ; ce qui implique le flou de bouger de certains membres des Mapuche présentés dans cette exposition. Pourquoi pas ? Après le retour à la mode de l’argentique observé depuis une poignée d’années, il était logique que les artistes se tournent vers plus ancien encore et remettent au goût du jour des procédés photographiques complexes, aux résultats hasardeux. Mais quand les clichés sont réussis, ils révèlent une portée esthétique indéniable.
Le collectif d’artistes « Ritual Inhabitual » explique avoir voulu se rapprocher des premiers voyages ethnographiques réalisés en Amérique du Sud à la fin du XIXe siècle, au cours desquels les scientifiques avaient fait appel à la chambre noire pour photographier les populations autochtones. On les croit volontiers.
Si certaines images sont très fortes, si les cartels ont pris le parti de citer des bribes de conversations avec les Mapuche plutôt que des définitions classique, on reste cependant un brin sur notre faim face à l’exposition. Au bout du compte, nous n’en apprenons que très peu sur la population que nous souhaitions rencontrer en entrant dans cette exposition.
On pourrait alors nous rétorquer que le but de l’accrochage est esthétique. Mais là aussi, une pointe de déception apparaît. La scénographie, indéniablement inventive, peine cependant à mettre en valeur les photographies du collectif. La superposition des clichés brouille quelque peu leur lecture ; et les plaques de verre au collodion humide sont perdues dans leurs petits cadres noirs. Mais ces cadres sont malheureusement nécessaires, car c’est seulement en posant les plaques (négatives) sur un fond noir uni qu’elles deviennent alors positives.
Quelques regrets donc, mais qui n’enlèvent rien à l’intérêt véritable de la nouvelle exposition temporaire du Musée de l’Homme. L’accrochage est à découvrir jusqu’au 23 avril prochain…
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