Article proposé par Exponaute

Coup de cœur de la rédaction : Louis-Cyprien Rials à la galerie Dohyang Lee

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Publié le , mis à jour le
Jusqu’au 23 décembre prochain, la galerie Dohyang Lee accueille la première exposition personnelle d’un artiste qui avait déjà beaucoup marqué la rédaction d’exponaute : Louis-Cyprien Rials. Voyageur insatiable en quête permanente de poésie, il créé et capture des images géopolitiquement incorrectes et engagées, accessibles et d’une très grande finesse. Parmi les œuvres de l’exposition intitulée Introducing, nous avons décidé d’évoquer un film en particulier, tourné au Kazakhstan sur un site ayant servi, dans les années 60, à accueillir des tests nucléaires dont il souffre encore aujourd’hui. Un coup de cœur poignant à admirer d’urgence.

C’était il y a un an. En novembre 2015, dans la villa luxueuse du XVIème arrondissement qui accueille chaque année une exposition d’artistes émergents, on avait été profondément fascinés par la flamme d’un feu sacré qui, à plusieurs milliers de kilomètres, brûle depuis 4000 ans. L’Etat Islamique est là, à quelques centaines de mètres (nous sommes là car le pétrole abonde. L’atmosphère est lourde, les forces du passé, de l’éternel et du présent s’entrechoquent devant la caméra de Louis-Cyprien Rials dont la sobriété est à la hauteur de la puissance de la situation. C’était il y a un an.

Extrait de полигон – Polygon Louis-Cyprien Rials  © Louis-Cyprien Rials

Après la flamme éternelle de l’Irak Louis-Cyprien Rials a jeté son dévolu sur une partie déserte du Kazakhstan. Déserte, mais pas tout à fait. Grande plaine défigurée par des essais nucléaires dont elle porte encore les cicatrices, la zone de Semipalatinsk abrite encore quelques dizaines de milliers d’âmes qui baignent quotidiennement dans les radiations toujours violentes présentes ici depuis 1965. L’artiste, lui aussi s’y est baigné. Littéralement. Loin du « cercle de feu », comme il l’appelle, qui avait captivé sa caméra quelques mois plus tôt, le voilà désormais face à un « cercle d’eau », paradoxalement plus flamboyant que son prédécesseur. Un lac, évidemment artificiel, creusé par l’impact direct d’une bombe il y a un demi-siècle. Le décor est planté.

La bande sonore assourdissante révèle au grand jour la violence de cette terre consumée par le feu imperceptible des radiations; les plans contemplatifs, fixes ou filmés au drone, produisent une véritable immersion. Le spectateur n’est pas immergé dans cet environnement tristement sublime, c’est cet environnement, cette atmosphère, qui pénètre profondément le cœur, les sens et les esprits. Il n’y a rien. Pas une étincelle de vie, pas une âme, rien : seule pèse l’ampleur phénoménale de l’action de l’être humain sur la vulnérabilité du monde. Objectivement magnifique, subjectivement insoutenable.

Après une bonne dizaine de minutes et au moins autant de coups de poignards radioactifs dans nos cœurs pourtant bien loin de tout ça, la couleur arrive. Avec elle, ce lac. Avec lui, Lui. L’artiste, nu, originel, à la fois criminel, témoin et victime. Il pleure. Du moins il en a l’air. Des gouttes perlent sur son corps. Ce lac artificiel, cratère nucléaire, berceau du mal qui infecte et empoisonne les environs, fait désormais partie de lui. Il vient de s’y baigner. Radioactif ? Oui (beaucoup de tritium et un tas d’autres joyeusetés), mais peu importe. Excessif ? Pas vraiment. Ce lac sert de réserve pour les quelques pêcheurs locaux qui se nourrissent des poissons qu’il abrite et emprisonne. Ainsi se tient-il devant nous en pleine expérience poétique du profondément humain, littéralement victime des radiations, médiatiquement témoin et martyr, sous nos yeux, fondamentalement coupable devant l’infini. La géopolitique suinte de chacune des gouttes qui perle sur son corps, comme les larmes sur le visage de Bas Jan Ader. Sur le visage de Louis-Cyprien Rials, pas de larmes. Seulement celles du monde.

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