Article proposé par Exponaute
Parfois, ce sont de simples trous creusés du bout du doigt dans le plâtre tendre d’une façade. Ici, c’est une fissure bienheureuse qui forme un sourcil, un nez, une bouche. Quelques pas plus loin et l’on tombe sur un graffiti rageur digne des plus célèbres envolées politiques des événements de Mai 68. Mais le plus généralement et c’est probablement là le plus déroutant dans l’exposition « Brassaï Graffiti » du Centre Pompidou, c’est que l’on ne sait pas ce que l’on voit.
Pourtant, une magie inattendue se dégage des clichés exposés dans la petite galerie plongée dans une semi-obscurité. Par quoi sommes-nous sincèrement fascinés ? Est-ce par ce dessin anonyme gravé dans un mur reprenant la vague forme d’un visage aux cheveux dressés sur la tête ? Est-ce par les cadrages très serrés, presque obsessionnels, de Brassaï ? Ou est-ce par la perte de repères provoquée par l’assemblage de ces deux choix esthétiques suscités ?
Nous sommes là face à une œuvre incontestablement déroutante, mais dans laquelle on se perd volontairement, non sans un certain plaisir, tant ce que l’on peut admirer dans cette exposition est original, inattendu, rare.
Brassaï, amoureux de la capitale française, n’a cessé de parcourir ses rues animées. D’abord encombré de sa lourde chambre photographique utilisée au cours des années trente, puis avec un matériel argentique nettement moins encombrant tandis que les décennies passaient et que la technologie progressait.
Nous croisons des dessins parfois simplistes (les bonshommes en fil de fer sont légion), parfois plus sophistiqués (la série consacrée aux animaux offre quelques surprises graphiques des plus intéressantes), tandis que des revendications politiques parviennent toujours à se créer une place sur les murs de la ville (la faucille et le marteau côtoient la croix de Lorraine chère à De Gaulle)…
Mais de temps à autres, le motif photographié est tellement brut, comme gravé à la va-vite, dans un sentiment d’empressement tel que l’on oublie alors que nous sommes face à des photographies qui ont été prises au cours du XXe siècle. Non sans nous surprendre nous-mêmes, des dessins creusés dans la pierre prennent la forme d’œuvres rupestres, de tracés dignes des plateaux de Nazca, de glyphes aussi mystérieux qu’anciens et qui, dans leur silence de pierre, cherchent à nous dire quelque chose. Une revendication, un amour, un espoir, une chose vue.
Le monde de Brassaï est celui de la déconstruction. Rangé du côté des Surréalistes, il est également amené à fréquenter de grandes figures artistiques de son temps comme Salvador Dali, Pablo Picasso ou Georges Braque. Comme ces créateurs qui se moquent des règles établies et cherchent avant tout à bouleverser tout ce qui peut être carré ou rigoriste, Brassaï choisit des éléments anodins du paysage citadin sur lesquels braquer son objectif.
Il les élit en fonction de leur aspect, de leur étrangeté, de leur message. Puis grâce à une composition extrêmement serrée, le photographe d’origine hongroise va les isoler, les couper totalement du cadre spatial dans lequel ils se trouvent initialement.
Nous nous retrouvons alors face au graffiti, au graffiti seul, qui nous provoque par son aspect brutal, violent parfois, par son innocence extrême ou son impudeur totalement assumée. On rit, on s’émeut et on repart de l’exposition avec le sentiment d’avoir regardé des choses souvent méprisées avec un œil totalement neuf, grâce au talent de Brassaï.
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